Beaucoup ne connaissent quasiment rien de la Corée du Nord. A part les saillies tonitruantes de son jeune dirigeant, Kim Jong-un, et celles de son père Kim Jong-iI. Ce pays, devenu une dynastie communiste sans pareille dans l'histoire, fondée par le patriarche Kim Il-sung, grand-père de Kim Jong-un, est l'objet d'une grande curiosité. Le régime exhibe belliqueusement ses armes nucléaires et ses quelques exploits dans l'espace. Mais son peuple meurt de la famine. Régime militaire de type stalinien, cet «Etat» qui vit quasiment en autarcie survit grâce à ses cousins «germains» idéologiques : la Chine et l'ex-URSS (la Russie aujourd'hui). Pékin et Moscou continuent d'assister et de défendre l'indéfendable régime de Pyongyang pour l'utiliser comme une carte de négociation avec les Etats-Unis dans la géopolitique de l'Asie orientale. Mais comment vit-on concrètement en Corée du Nord ? Quelle est la méthode du régime pour maintenir le peuple nord-coréen sous sa botte ? Récits glaçants de deux réfugiés, un homme et une femme, qui ont réussi à se sortir du goulag de Kim Jong-un et que nous avons rencontrés au siège du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) à Séoul. Des rescapés désormais heureux d'avoir fui un régime hideux.
Coiffé d'une casquette noire, le visage couvert d'un masque blanc et les yeux cachés par de grosses lunettes sombres, Kim Dong-su (32 ans) ne fait visiblement confiance à personne. Bien qu'établi en Corée du Sud depuis 2005, il revit à ce jour le cauchemar qu'il a vécu dans l'armée de Kim Jong-iI. Il s'excuse de ne pas montrer son visage devant les journalistes de peur d'être reconnu par les agents du régime de Pyongyang.
«J'ai terminé mes études à 17 ans durant lesquelles on m'a appris que mon pays, la Corée du Nord, est le plus développé au monde et que nous sommes une puissance mondiale. On nous disait aussi qu'on devait envahir le Sud, parce que ses habitants sont pro-américains. C'est alors que je suis enrôlé dans l'armée pour passer les dix années obligatoires. Je quitte la caserne à 27 ans, sans aucune nouvelle de mes parents. Quelle ne fut ma surprise de découvrir que notre maison a été rasée et que mes parents et toute ma famille ont été décimés par la famine et les maladies. J'ai été contraint d'aller en Chine pour gagner ma vie. J'ai laissé un pays en ruine, où il n'y a que des camps de détention où des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants meurent sous la torture, de faim et de toutes sortes de maladies. Parfois, la température descendait à -20° mais il n'y avait même pas de chauffage. C'était horrible à voir… Dans l'armée, il y a des agents qui surveillent et interrogent les nouveaux soldats. On ne devait pas montrer nos émotions. Je me souviens d'un soldat qui a osé une blague sur sa volonté de quitter l'armée, il adisparu le lendemain à tout jamais… Les exécutions sont quasi quotidiennes et au moindre soupçon. Le régime a construit sa propagande sur une formation politique, selon laquelle le monde s'arrêtait à Pyongyang et qu'il fallait envahir la Corée du Sud pour réunifier le pays. Le régime nous disait que tous ces milliers de morts par la famine et les maladies sont provoqués par les Américains et leur soutien notamment la Corée du Sud. Je pense qu'il n'y a vraiment pas de possibilité que le régime soit renversé par l'armée. Au total, j'ai passé dix ans de ma vie dans l'armée nord-coréenne et je suis sorti sans le sou. J'ai quitté la Corée du Nord avec des blessures indélébiles. J'ai perdu toute ma famille sans même leur dire adieu. C'était atroce.En Chine, j'ai galéré en travaillant dans une société 16 heures par jour, c'était tout de même mieux qu'en Corée du Nord. Là-bas, j'ai découvert que toutes les informations qu'on m'a inculquées sur mon pays étaient fausses. Moi qui pensais que j'étais réellement bien cultivé, je me rends compte que je ne connaissais absolument rien du monde extérieur… En Chine, ce fut un choc pour moi en me rendant compte que la Corée du Nord n'était finalement qu'un gouffre abyssal. C'est vrai que ce n'était pas non plus le paradis pour moi en Chine mais, tout de même… Et quand j'ai débarqué en Corée du Sud, j'ai été agréablement surpris de découvrir un pays ultramoderne. Avec ses bâtiments et ses tours en verre, il n'y a aucune comparaison à faire avec la Corée du Nord. Ici à Séoul, j'ai été bien traité à mon arrivée en 2006 et je me sens aujourd'hui plus épanoui et définitivement sorti de l'enfer. J'espère assister de mon vivant à la chute du régime de Kim Jong-un et à la réunification de la Corée autour d'un seul drapeau.»