Cette rencontre, première du genre en Algérie, est venue célébrer la naissance du grand penseur de la doctrine ésotérique de «Wahdat al Wujud». Cet érudit compte à son actif pas moins de 846 ouvrages. C'est à l'initiative des éditions «Librarie de philosophie et de soufisme» en coordination avec la Bibliothéque nationale que durant la journée d'hier plusieurs chercheurs et universitaires algériens, jordaniens, marocains, syriens et libanais se sont relayés sur la scène pour revenir sur l'œuvre et la pensée de Ibn Arabi. Dans son allocution d'ouverture, le responsable des collections aux éditions Librairie de Philosophie et de Soufisme, le maître Mohamed Atbi, a indiqué qu'il était important de commémorer ce 850e anniversaire de la naissance d'Ibn Arabi. Celui-ci est le plus grand théoricien du soufisme de tous les temps et l'auteur le plus prolifique de l'humanité. Pour le conférencier, la relation d'Ibn Arabi avec l'Algérie se résume en plusieurs points. «Il est, dit-il, andalou et maghrébin, donc de même aire culturelle». Ses deux oncles vivaient en Algérie et l'un d'eux était prince de Tlemcen, puis élève du soufi d'Al Oubbâd Abdessalam Al Tounoussi, dont le tombeau jouxte celui de Sidi Boumédiene à Tlemcen. Le plus grand et plus important de ses maîtres spirituels — comme il le déclare lui-même — fut Sidi Boumediene de Béjaïa mort et enterré à Tlemcen. Il eut la bonne nouvelle de son accomplissement spirituel ou la bishârat al fath à Béjaïa. Le premier commentateur de son livre-clé, Les Fusûs al Hikam, fut notre Afif Al Din Tilimsânî. De même que son dernier grand commentateur et successeur fut notre Emir Abdelkader. Ce dernier a sa tombe dans le mausolée d'Ibn Arabi à Damas. En outre, l'Emir Abdelkader fut derrière la première édition de son encycopédie soufie Al Futûhât al Makiyyah sur la base du manuscrit de Konya en Turquie. Sidi Abderrahmâne Ath-Ta'âlibî, saint patron d'Alger, est lié par sa chaîne de transmission à Ibn Arabi. Pour Mohamed Atbi, il est important que notre pays et notre culture honorent cette mémoire et cette œuvre vivante dans notre pays, l'Algérie, et combien certains pays voudraient avoir ces éléments d'appartenance pour nous dépasser sur ce terrain culturel à grande aura internationale . L'universitaire libanaise, Souad El Hakim, a axé son intervention, quant à elle, sur «les voies vers Allah à travers l'expérience spirituelle d'Ibn Arabi et ses écrits». Elle affirme que Abou Arabi a mis l'accent dans son œuvre sur la libération de l'esprit. Pour ce faire, il est impératif de s'adonner à des exercices spirituels, des retraites, ainsi qu'à des invocations rituelles. «On libère, explique-t-elle, l'esprit, car c'est le plus beau trésor de l'homme. L'esprit peut communiquer avec Dieu. Il faut, ensuite, aller à la recherche d'un maître spirituel mais chaque personne ne peut pas avoir un maître. C'est pour cela que Abi Arabi préconise neuf conseils dont cinq à l'intérieur du corps et quatre à l'extétieur de l'être. Le chiffre neuf symbolise l'icône. Abou Rabi est convaincu qu'il existe neuf points de réception de Dieu». Et d'ajouter : «Ibn Arabi informe clairement que la voie qui mène vers le vrai n'est pas rectiligne, mais circulaire. Car le cercle est la forme la plus parfaite. Pour cette raison, l'arrivant après s'être connu lui-même et après avoir connu son Seigneur, réalise une nouvelle naissance». La communication de l'universitaire syrien Bakri Aladin a porté sur «Abou Rabi entre philosophie et mystique». Pour ce spécialiste, Ibn Arabi distingue dans Futuhat-al-makkiya trois degrés de sciences : la pensée discursive et philosophique, les sciences des «états» et «les sciences des mystères». «Abou Rabi se permet de se placer à la tête des partisans des sciences des mystères. Il surpasse, ainsi, les adeptes des sciences rationnelles et celle du ‘‘goût'' car les sciences des mystères font partie du cercle de la révelation prophétique et les inspirations de saints», explique-t-il. Dans sa communication intitulée «La théologie de l'amour chez Ibn Arabi», le chercheur et universitaire algérien Zaïm Khenchelaoui a estimé qu'Ibn Arabi est un personnage important pour les musulmans et le monde entier. Il a une influence sur notre histoire spirituelle, mais aussi sur la spiritualité européenne. L'orateur est convaincu qu'il faut regarder ce qui se passe dans le monde islamique. La miséricorde a disparu. De son avis, si «le Prophète revenait chez les musulmans, il ne trouverait pas où mettre sa tête. Parce qu'il ne reconnaîtrait pas ces gens qui se réclament de lui. Ils ne prêchent pas son message qui est basé sur la méséricorde. Une notion qui est malheureusement absente, ou de plus en plus discrète et peut-être en voie de disparition qui a laissé place à la haine, à la division, à la discorde, aux larmes et au sang». Toujours selon notre interlocuteur, Ibn Rabi considère que le cheminement de l'homme vers Dieu est la résultante d'une énergie d'amour. «Il y a, dit-il, une manifestation de la création qui n'est autre que le miroir de Dieu selon le soufisme. Chaque être humain est le miroir de l'autre. Les êtres humains sont liés. Nous sommes appelés à aimer notre prochain, car en réalité notre prochain c'est nous-mêmes. L'Etat ottoman avait adopté jusqu'en 1924 la doctrine ésotérique du ‘‘wahdat al wujud'' comme la doctrine officielle de l'Etat ottoman. Ce n'est qu'après l'apparition de la discorde wahhabite que nous avons perdu malheureusement aujourd'hui les bases de notre équilibre et de notre sérénité. Nous étions des gens fréquentables. Il faudrait réfléchir à un retour. Il est essentiel de mentionner que nous avons des référents. Nous ne venons pas du néant. Nous avons derrière nous une civilisation. Nous vivons aujourd'hui le Moyen-Age. Si nous avions suivi l'enseignement d'Ibn Rabi et de l'Emir Abdelkader, nous aurions pu être une lumière pour les nations».