Une vague de fraîcheur, apportant une vision colorée du quotidien algérien, souffle sur la scène artistique ces dernières années. Plusieurs artistes, utilisant les codes pop-art, ont émergé, faisant montre d'un esprit vif et d'un humour irrévérencieux. Les œuvres s'adressent à une génération qui a connu à la fois les Souk El Fellah, l'arrivée de la parabole, l'ouverture du marché, la folie meurtrière des années 90' et les quatre mandats d'Abdelaziz Bouteflika. Nostalgie A défaut de galeries d'art ou de musées, ils ont d'abord exposé leurs œuvres sur les murs virtuels des réseaux sociaux. Le succès fut immédiat. Walid Bouchouchi, à travers un concept narquoisement intitulé «Akakir», est considéré comme l'un des chefs de file de ce mouvement. Sur un fond graphique berbère, il magnifie certains produits et personnages de l'Algérie qui se rêvait un destin socialiste. La soupe Campbell, immortalisée par Andy Warhol, devient «tchebchaq maricane», jeu enfantin bien connu de la génération précédant l'avènement d'internet et des jeux vidéo. Mais ici, c'est Ali Belhadj qui brandit le tchebchaq. D'un coup, les souvenirs s'entremêlent. La galerie de la mémoire émerge à travers les tableaux qui ornaient les murs des demeures algériennes, de la fillette aux yeux clairs dont les larmes roulent sur un visage diaphane aux mains qui se tendent vers le ciel pour une prière.Plusieurs autres artistes jouent sur la fibre nostalgique. C'est au café Madour, près de Boumerdès, qu'El Moustache a commencé à scribouiller ses premières calligraphies. «Je faisais du ‘‘tkherbich'' (scribouillages) qu'un ami qualifiait de ‘‘calligraphie- catures'' jusqu'à ce que je découvre le travail de Walid Bouchouchi. C'est le premier qui a lancé le mouvement, mais aujourd'hui chacun travaille à sa façon», nous dit El Moustache, artiste autodidacte qui ne cesse de déployer un art subtil, intelligent et iconoclaste. Terrorisme Dans ces photos retravaillées, les souvenirs d'enfance vous ramènent aussi au temps où l'Algérie était ensanglantée. Le drapeau noir de Daech sera détourné par Walid Bouchouchi et portera le slogan «Qu'il est agréable de vivre», rappelant le célèbre générique du dessin animé Sinane. Les fantômes de la décennie noire continuent de hanter une génération qui regardait, à travers des yeux d'enfants, l'Algérie s'entre-déchirer. Des silhouettes de Ninja sont reproduites dans les œuvres de Zako, travaillant sous les initiales KZD. Il présente un homme barbu brandissant un livre sur un fond d'écran d'enfants rigolards. Passionné de «photos d'aventures», cet étudiant en littérature française vient à l'art un peu par hasard. «C'est un espace dans lequel je peux exprimer mes idées politiques, explique-t-il. Pour moi, les épreuves vécues aujourd'hui sont le fait de ce qui a été entamé pendant la décennie sanglante». Devant les bégaiements de l'histoire, soutient-il, il est encore des gens qui «se voilent la face». Identité Les motifs traditionnels, les symboles et les signes qui ont marqué la peinture algérienne sont omni-présents. Mieux, ils sont, pour El Moustache, artiste autodidacte, un «cheval de bataille» pour défendre une algérianité diluée dans la mondialisation et la «médiocrité». Son credo : «Ched fel asl». «Quand j'utilise des visuels algériens, je prends le soin de ne pas y accoler une image négative. Notre patrimoine a été malmené depuis de nombreuses années. Ainsi, quand je fais un travail pour dénoncer la corruption (intitulé Sonatrach, energy drink), je n'y mets aucun signe algérien», propose-t-il. El Moustache, défenseur de la derja, regrette notamment que la langue algérienne, riche, poétique et imagée, soit parfois associée aux sketchs laisse à désirer. Icônes Dans la tête de Zako, Mohamed Boudiaf fredonne un air de Nancy Sinatra : Bang, bang, my baby shot me down. «Boudiaf représente pour nous l'espoir. Certes, il n'est pas resté longtemps à la tête de l'Etat algérien, c'est sans doute la raison pour laquelle on n'arrête pas de se poser cette question : ‘‘ Et s' il n'avait pas été tué ?''…», dit celui qui avait à peine un an lorsque le président Boudiaf a été assassiné. Mohamed Boudiaf, Athmane Ariouet, la madone de Bentalha, Hasni, Mustapha Ben Boulaid, Tahar Djaout ont valeur d'îcones. «Athmane Ariouet a marqué plusieurs générations d'Algériens. Le pop art, c'est aussi transmettre les impressions des gens. Ariouet est perçu comme une figure d'opposition. Il a, aux yeux des gens, une carrure d'homme révolté», explique El Moustache qui représente le comédien de Cranaval fi dechra flanqué du béret de Che Guevara. Mais dans cet univers, mêlant militantisme et fantaisie, El Commandante peut aussi porter haïk et voilette en dentelle.