Solitude, colère, propagande... Pour les réalisateurs syriens présents au 8e Festival international du film arabe d'Oran, parler de cinéma, aujourd'hui, c'est parler de leur pays en guerre. Le cinéma syrien tente de résister à la guerre. Le pays produit quatre à cinq longs métrages par an. Boycotté par les télés arabes, le drama syrien a, parallèlement, retrouvé sa place. De nombreux feuilletons syriens seront sur le petit écran durant le Ramadhan 2015. «De nombreuses télés arabes ont compris qu'on ne peut pas se passer du drama syrien. Actuellement, la Syrie produit 25 feuilletons par an. Le marché pour ces produits est assuré», explique Bassel Al Khatib, présent au 8e Festival international du film arabe d'Oran (FIFAO), qui s'achève ce soir, pour présenter son dernier film Al Oum (la mère). Il s'est déplacé avec les comédiennes Sabah El Djazaïri, qui interprète le rôle de la mère dans ce film, et Soulaf Fawkhardji, une star montante du 7e art et de la télévision en Syrie. Al Oum est le deuxième long métrage d'une trilogie que Bassel Al Khatib, cinéaste syro-palestinien, dédie à la femme syrienne face à la guerre. Une trilogie qui a commencé avec Mariam sorti en 2012 et primé au festival d'Oran. Elle se poursuivra avec Al Souriyoun (Les Syriens) qui sera sur les écrans en septembre 2015. Al Oum, projeté mercredi soir à la salle Maghreb, est une histoire d'apparence simple. Une mère vit isolée dans un village en montagne. Village où les amandiers fleurissent mais où les murs sont gris et les visages fermés et tristes. La solitude pour cette mère est une douleur qui ne guérit pas. Elle reproche à ses enfants de l'avoir abandonnée. Elle part retrouver Faten (Soulaf Fawkhardji), sa voisine, pour lui demander pardon pour un conflit familial ancien et se réconcilier avec elle. Réconciliation Tout le film de Bassel Al Khatib, connu pour ses positions pro-Bachar Al Assad, est construit autour de cette idée de réconciliation intersyrienne. «Nous n'avons pas de rapport avec le régime. Nous disons qu'il faut oublier nos différences. Ouvrons nos cœurs et faisons confiance à l'être humain qui est en nous. Nous sommes condamnés à vivre ensemble», a déclaré Soulaf Fawkhardji après la projection du film. «Nous plaidons pour une réconciliation humaine. La réconciliation politique est un autre débat», a repris le cinéaste. A la mort de la mère, les enfants éprouvent beaucoup de difficultés à rejoindre le village pour assister à l'enterrement. La route est dangereuse en raison de la présence d'hommes armés portant des cagoules et qui peuvent faire penser à des groupes rebelles. «Cette histoire est inspirée de faits réels. Ce n'est qu'une infime partie des souffrances du peuple syrien. Un artiste ne peut pas vivre éloigné de ce qui se passe autour de lui. Tout cinéaste a l'obligation de s'intéresser aux douleurs des gens et à leur drame. La guerre en Syrie n'a pas d'égale dans l'histoire», a soutenu Bassel Al Khatib. Le cinéaste assume le choix d'avoir usé d'un discours direct pour évoquer la situation actuelle en Syrie. Al Oum critique, parfois de manière maladroite, les Syriens partis à l'étranger. Cela est clairement montré avec la scène d'une musicienne arrêtée à la frontière libano-syrienne au seul motif d'avoir quitté son pays. La mère abandonnée par les enfants est également une parabole sur ces Syriens qui ont choisi l'exil, laissant la patrie à feu et à sang. Il est évident que la propagande n'est pas loin. Surtout que le cinéaste a choisi de montrer une chorale d'enfants interprétant Mawtini, un chant patriotique. La musique est utilisée de manière exagérée pour intensifier ou provoquer l'émotion, une technique surconsommée déjà par la télévision. «Parfois, au cinéma, nous avons besoin de dire les choses clairement et ouvertement. Il n'y a pas de propagande dans ce film. Nous n'avons condamné personne. Moi, comme Sabah El Djazaïri ou Soulaf Fawkhardji avons choisi de rester en Syrie. Nous ne pouvons pas tourner le dos à notre patrie. Le thème du film a imposé la forme artistique. Dans Al Oum, nous avons évité les complications dramatiques et abordé l'histoire sous un angle simple et clair», relève Bassel El Khatib. Attentat Al Rabiâ bi Tawkit al Firdaws (4h à l'heure du Paradis), de Mohamed Abdulaziz, est un film d'une autre dimension. Il traite du drame syrien mais avec un regard plus artistique et moins propagandiste que celui de Bassel Al Khatib. Dans ce film, le professeur de musique (Samer Amrane), un des personnages, se déshabille complètement. Une nudité de colère pour dénoncer l'injustice. Le professeur, opposant récemment libéré de prison, simule la torture dans un bassin d'eau. Au même moment, un serpent de couleur jaune se faufile entre les pierres d'une maison, habitée par le passé par un ancien président. L'homme en colère brûle un vieux piano avant de se jeter à l'eau. Cette symbolique, assez forte, résume un film à la tonalité différente de ce qui se fait actuellement en Syrie. L'histoire se déroule dans un Damas encombré, vivant au rythme des bombardements entre 9h et 16h. Une artiste est ciblée par un attentat à l'explosif. Elle est transférée par des militaires à l'hôpital. L'hôpital, lieu symbole de la Syrie en guerre, est un carrefour de tous les tourments. Maya, la fille d'un haut responsable, se fait soigner après avoir divorcé d'un homme originaire d'un pays du Golfe. Elle est surprise par son père en position indécente avec le professeur de musique. Une querelle éclate. C'est la descente aux enfers pour l'homme du régime. En même temps, un Kurde syrien (Mohamed Al Rachy) installe sa femme malade dans un lit, à côté de celui de Maya, et sort à la recherche d'argent pour payer l'opération chirurgicale. Maya reçoit la visite de sa sœur accompagnée d'une copine. Les deux filles se rendent compte qu'un jeune homme, attaché à l'une d'elle, n'est qu'un Don Juan sans principe. Ce jeune homme aux cheveux longs, jette les livres par terre et part vivre ailleurs. «Le changement ne viendra pas par les livres», proclame-t-il. Les personnages se croisent dans un mouvement continu de la caméra qui parfois filme comme dans un documentaire. Une scène presque comique d'une femme accouchant sur une route, aidée par son époux, est apparue superflue dans ce film, plutôt bien mené par Mohamed Abdulaziz. Une fiction réaliste, qui dégage une certaine force dramatique et suggère que «le chaos» syrien peut avoir plusieurs explications, pas forcément politiques. Mohamed Abdulaziz a eu le courage d'utiliser pour la première fois dans l'histoire du cinéma syrien le kurde. «Le kurde est un composant important de la culture syrienne. Une culture diversifiée. Et cette diversité est le ciment de la nation», a expliqué Mohamed Abdulaziz. Le cinéaste a osé montrer que le père de Maya était suicidaire. Rongé par la culpabilité ? Reconnaissance de l'échec ? Grenades Toutes les lectures sont permises dans un film étonnant par l'épaisseur de son scénario à plusieurs couches et par son esthétique contemporaine. Les grenades et les oranges sont utilisées vers la fin du film dans une scène presque surréaliste pour évoquer Damas, ses jardins et son passé fleuri. Un Damas qui pleure et se tord de douleur. «Pour moi, l'exploitation et la recherche du temps sont déterminantes dans un travail cinématographique. C'est ce que j'ai essayé de faire dans ce film. La blessure syrienne mérite l'intérêt de tout cinéaste. Nous avons besoin de diagnostiquer le mal. Mais en tant que cinéaste, je préfère ne pas apporter de réponse aux spectateurs. Le spectateur peut lui-même analyser un film et le comprendre à sa manière. Je préfère le cinéma qui ne porte pas de message», relève Mohamed Abdulaziz, qui a évoqué les conditions de réalisation du film. «Damas subit une guerre terroriste. Les conditions de tournage sont éprouvantes. Comme le sont les conditions de vie en général. Mais le Syrien s'adapte. Ceux qui ont visité Damas ont bien vu que la ville, malgré la guerre, renaît à chaque fois de ses cendres, comme le phénix», dit-il. Pour Bassel Al Khatib, chaque jour de tournage en Syrie était une véritable aventure. «Une aventure qui commence le matin et on ne sait pas comment et quand elle se termine. On sort pour travailler, mais on n'est jamais sûr de renrer le soir à la maison. Après cinq ans de crise, l'homme syrien a compris une chose : il faut continuer à vivre. Et notre film est un message au monde entier pour dire que le peuple syrien est vivant, bien vivant», a-t-il confié. Pour sa part, Ali Wajih, scénariste du court métrage Souris, tu es en train de mourir, a précisé que le tournage s'est déroulé dans des conditions normales à l'intérieur de la ville de Damas. «Mais le choix des lieux de tournage est devenu limité. Nous ne pouvons plus nous déplacer comme nous le voulons. Nous nous contentons des endroits sécurisés», a-t-il souligné. Selon Mohamed Abdulaziz, tous les sujets sont abordés par le cinéma syrien actuel. «En toute liberté ! Il n'y a pas de lignes rouges. Mon film n'a subi aucune censure ni politique ni sécuritaire», a-t-il affirmé. Mohamed Abdulaziz achève le montage d'un nouveau long métrage, Al Harayek (les incendies). Il s'est dit ouvert à un projet en coproduction avec l'Algérie. «Je serais honoré de travailler avec les Algériens. L'Algérie a toujours eu des positions honorables concernant les grands dossiers arabes et surtout le dossier syrien», a estimé Bassel Al Khatib. Selon Ali Wajih, les fonds d'aide à la production cinématographique n'existent pas. La plupart des films sont produits par la société étatique de cinéma.