Premier «dé-jeûneur» chrétien à être poursuivi par la justice pour avoir mangé pendant le mois de Ramadhan. Il a finalement été relaxé, après avoir dénoncé une «violation de la Constitution qui garantit la liberté de culte». Rencontre avec Hocine Hocini cinq ans après son procès. Selon vous, au cours de ces cinq dernières années, y a-t-il eu un changement dans la société concernant les “dé-jeûneurs”? Oui, je crois qu'un tabou a été brisé. Tout le monde sait maintenant qu'il y a des gens qui ne jeûnent, et je ne crois pas que cela dérange vraiment, à l'exception de certains extrémistes, qui ont «le coucher de soleil derrière leur dos», comme dirait la poétesse Hadjira Oubachir. C'est-à-dire qu'ils sont aveugles et ne cherchent pas à explorer ce qu'il y a de beau dans la nature. Voilà comment je les décris. C'est dommage qu'on en soit arrivés au point de faire des procès à l'encontre de gens qui ne jeûnent pas. Même si je trouve paradoxalement que c'est une bonne évolution, parce que cela oblige à montrer la réalité des choses et à faire bouger les lignes. Je suis croyant moi-même, mais je pense que même les non-croyants ont le droit de vivre librement. Vous ne croyez pas que ces procès effraient les gens ? Non. D'ailleurs, pour moi, ce n'est pas vraiment la justice qui se durcit, mais plutôt le mouvement de refus qui s'étend. Il y a de plus en plus de personnes qui assument le fait de ne pas jeûner. Le problème d'ailleurs n'est pas vraiment celui qui jeûne ou pas, mais la volonté qu'ont certaines personnes d'instrumentaliser les comportements personnels, en se faisant force de dénoncer les non-jeûneurs. C'est ce qui s'est passé avec le policier qui est à l'origine de mon procès. Il nous a suivis dans un endroit privé pour voir si l'on mangeait, mais moi je crois qu'en réalité, il voulait surtout une promotion. Cela ne vous a pas fait peur d'être convoqué devant le tribunal ? Pas vraiment. D'ailleurs j'ai fait le choix de plaider coupable, parce que c'est vrai que j'ai déjeûné, même si personne ne m'a vu en réalité. Si c'était à refaire, je le referai, car je ne considère pas que ce soit une faute, c'est un droit. Nous, les chrétiens, avons aussi nos périodes de jeûne, mais ce ne sont pas les mêmes. Pour ma part, je suis chrétien et algérien, personne ne peut m'enlever le fait d'être algérien. On ne peut pas m'inciter à devenir musulman pour être plus algérien, car je le suis déjà, comme toute ma famille. Qu'allez-vous faire cette année? Je crois que c'est assez clair non? (rires). Je vais manger le midi, mais pas à table, car je n'ai le droit qu'à 10-15 minutes de pause. Donc, je prends un casse-croûte et je retourne au travail. Mais je ne mange pas devant les autres par respect pour ceux qui jeûnent. Je n'ai jamais mangé en public pendant le Ramadhan et je ne le ferai jamais, parce que je ne veux pas choquer les musulmans. Il faut bien comprendre que nous, les chrétiens, notre ennemi n'est ni le musulman, ni le juif. Notre ennemi c'est le diable, comme le dit la Bible, dans Ephésiens 6. Ma femme aussi est chrétienne, alors à la maison nous mangeons le midi, comme le reste l'année. Mais jamais dehors, et on évite certains plats, comme la friture de poissons par exemple, pour ne gêner personne avec l'odeur. - N'avez-vous pas subi de discriminations après votre procès, qui a été très médiatisé ? Si. Par exemple j'ai fait une demande de travail au sein d'une administration étatique comme informaticien, et la réponse a été immédiatement négative. Pourtant j'ai un diplôme de technicien de l'informatique, et j'avais eu une meilleure note que l'autre prétendant à ce poste, mais c'est lui qui a été retenu. Il arrive aussi qu'on me reconnaisse. Une fois, alors que je faisais du stop pour rentrer chez moi avec un collègue, parce que mon chantier était à 20 km de mon village, un homme a accepté de nous emmener. Mais lorsqu'il m'a reconnu, il m'a immédiatement fait descendre de sa voiture. Il hurlait : «J'ai ramené un chrétien avec moi, je ne m'arrêterai plus jamais !» J'avoue que ça m'a blessé. Comment les choses devraient-elles changer selon vous? Eh bien, dans un monde idéal, pendant le mois de Ramadhan, chacun serait libre. Il y aurait des cafés, des restaurants… Comme en Europe, où tout est ouvert mais où les musulmans jeûnent quand même. Cela pourrait être la même chose ici. Et puis il faudrait revoir l'article 2 de la Constitution algérienne, qui confère l'islam comme religion d'Etat. Parce qu'actuellement, nous aussi, les chrétiens, sommes considérés comme musulmans. Mais ce n'est pas le cas. Et je me refuse à être déconsidéré dans mon «algérianité» à cause de ça. Il y a des moments où l'on nous traite comme des étrangers à cause de notre foi. D'ailleurs, il y a une cellule de l'Eglise protestante qui travaille là-dessus. Sur le respect des droits des Algériens chrétiens. Car les procès, comme celui qui m'a touché, doivent cesser, parce qu'ils s'en prennent aux droits de l'homme. Un homme doit pouvoir être libre de ne pas jeûner s'il le souhaite. Et vous croyez que la société va évoluer dans ce sens ? Oui, mais il faudra beaucoup de temps. Pourtant je suis convaincu que cela va changer, oui, parce qu'il y a toujours un réveil. Et puis avec le temps, ils n'auront plus le choix, quand il y aura des milliers de chrétiens, il faudra bien faire quelque chose. Il faut déjà voir le nombre de baptêmes qu'il y a ! Et puis on trouve des églises un peu partout maintenant, pas seulement en Kabylie. Celle d'Oran, par exemple, est toujours pleine.