Le gouvernement algérien reporte à plus tard l'obligation du paiement par chèque des transactions de plus de 50 000 DA. Les raisons sont multiples. L'une d'entre elles se rapporte au démarrage cafouilleux du nouveau chèque normalisé. Quelques explications ici sur une révolution manquée dans la torpeur de l'été. Le plan de bataille des autorités financières était parfait. Entrée en vigueur, début 2006, du fameux réseau interbancaire à fibres optiques, lancement de la télécompensation durant le premier trimestre, raccourcissement généralisé des délais de paiements des chèques à quatre jours maximum, fidélisation des opérateurs au recours au nouveau normalisé qui permet d'irriguer rapidement les trésoreries, entrée en vigueur au second semestre de l'année de l'obligation de payer par chèque toute transaction supérieure à 50.000 DA. Disparition début 2007 de la banque debout (pour les queues de paiement), essor de la monétique et de ses instruments de règlements. Presque parfait. Premier accroc : glissement sur le calendrier du début du printemps dernier vers le début de l'été de la date de livraison du réseau interbancaire qui permet la télécompensation des chèques. Retard qui a provoqué une première entorse au décret instaurant le recours systématique au chèque. Son entrée en application a donc été reportée une première fois au premier septembre 2006. On l'aura compris, le nouveau chèque normalisé était le maître argument de campagne. Il fallait, en effet, pour que le ministère des Finances s'offre le basculement recherché vers le « tout par chèque » que l'utilisation de ce nouveau chèque soit un succès dès son lancement. Encaisser un chèque en quatre jours au maximum enlève le justificatif de l'utilisation du paiement en liquide chez la grande partie des opérateurs formels qui ne cherchent pas à frauder sur la TVA. Si le gouvernement a été contraint de repousser une seconde fois l'application du décret instaurant le paiement par chèque c'est, cette fois, parce qu'il s'est montré trop optimiste sur son agenda, plus précisément sur les premiers effets bénéfiques du réseau interbancaire et du passage au chèque normalisé. Le démarrage du chèque qui devait réconcilier les Algériens avec ce mode de paiement n'est pas « encore » le succès espéré. Les débuts du nouveau chèque divisent les utilisateurs A la première semaine de septembre 2006, trois mois après l'entrée en activité du réseau interbancaire et de la télécompensation des chèques qu'il permet désormais, les avis des opérateurs satisfaits et mécontents ne sont pas loin de s'équivaloir sur le territoire national. Un premier sondage aléatoire auprès d'une dizaine d'opérateurs économiques répartis à travers le pays montre que le chèque normalisé ne « marche » pas pour tout le monde. Il a même provoqué un rallongement des délais de paiement là où « il ne marche pas » : explication d'un responsable dans une entreprise d'électronique de l'ouest du pays : « Avant, avec le chèque escompté on obtenait des paiements rapides. Le réseau interbancaire a provoqué la suppression de l'escompte du chèque. Mais les agences avec lesquelles nous traitons bafouillent leur télécompensation et finalement ne créditent notre compte qu'au-delà de trois semaines après le dépôt d'un chèque de client. C'est même plus long que les délais pour encaisser un chèque non escompté. Nous traitons avec trois banques différentes, c'est pareille pour toutes. » Pour de nombreux utilisateurs, l'introduction du chèque normalisé a été « insuffisamment préparée ». « Il aurait fallu utiliser la période estivale pour roder le réseau avant de l'ouvrir aux transactions du public. » Dans un tel contexte, les « réussites » du nouveau chèque – elles existent - sont largement masquées, et donc insuffisantes pour créer le climat de confiance qui permet la généralisation du paiement par chèque pour les montants qui le nécessitent. Des chefs d'entreprises, généralement du centre du pays, ont enregistré un raccourcissement spectaculaire des délais de paiements des chèques déposés auprès de leurs agences. « J'arrive à encaisser les chèques de mes grossistes en moins de quatre jours lorsqu'il n'y pas de jours fériés au milieu », assure un distributeur de produits laitiers dans l'Algérois. Une tendance à imputer le contraste du fonctionnement de la télécompensation à la « qualité de connexion » est née cet été chez les utilisateurs du chèque normalisé. Il y aurait les agences bancaires bien connectées « qui payent vite » et celles qui ne le sont pas. Les premières ont la réputation d'ailleurs d'être au centre du pays plus près de la « source », le serveur central du réseau étant à Alger. Une révolution mentale impossible ? Les débuts en demi-teinte du chèque normalisé sont peut-être à chercher ailleurs que dans le réseau. « Pareille pour toutes les agences », assurent les experts. En fait le saut de la télécompensation repose sur la promotion de la signature électronique et de sa traçabilité comme effet documentaire. Une révolution mentale que de trop nombreuses agences bancaires n'arrivent pas à entreprendre. Mourad Saïd El Hadj, cadre financier dans la vallée de la Soummam, explique : « Le système de la télécompensation consiste à faire confiance à la machine. L'agence qui a reçu un chèque à encaisser pour le compte de son client le montre sur son terminal. Il est instantanément affiché chez l'agence qui a émis le chèque grâce au code de 22 chiffres qui l'identifie. Si aucune opposition ne revient par le réseau au bout de 48h, le compte du client qui a déposé le chèque peut être crédité. La solvabilité de ce chèque est garantie automatiquement. » Les premières informations qui circulent sur l'infortune du chèque normalisé indiquent que de très nombreuses agences bancaires – publiques et privées - n'ont pas réussi à suivre le rythme des transactions électroniques. Des chèques sans provisions n'ont pas été signalés dans les délais des 48h et avaient été déjà payés. Ce qui a malencontreusement entraîné une perte de confiance dans le réseau et un retour au « confort prudentiel » d'avant le chèque normalisé. Les agences échaudées attendent le listing électronique qui confirme la solvabilité du chèque émis avant de créditer le compte de leur client. Ce listing tombe selon des délais très longs car il n'est pas censé régler la vitesse des transactions mais « seulement leur fournir à posteriori une seconde référence documentaire après celle électronique directe sur le réseau ». C'est toute la logique du nouveau système qui est ainsi mise entre parenthèses. La réforme bancaire s'est cachée durant longtemps derrière le retard logistique. Le réseau interbancaire a comblé une partie de ce retard depuis le 1er juin dernier, mais il a surtout démasqué un autre anachronisme tout aussi grave, celui des comportements professionnels. Tant que les chèques déposés mettront plus de trois semaines à être crédités, il est difficile d'obliger les opérateurs à recourir systématiquement au chèque. Cela devait être un problème résolu cet été. Pas encore. L'autoroute est là, mais les usagers roulent toujours à 50 km/h.