La grève observée début juin par les éleveurs et les producteurs laitiers à travers certaines régions dans une période où la demande en produits laitiers est en augmentation vient rappeler les conditions difficiles dans lesquelles évolue cette filière stratégique. Une filière connue pour sa dépendance vis-à-vis des importations et pour ses crises cycliques qui perturbent le marché tout en mettant les consommateurs à rude épreuve. Cette fois-ci, ce sont les éleveurs qui approvisionnement les transformateurs et les laiteries en lait cru qui sont montés au créneau pour revendiquer l'augmentation du prix du litre de lait et la stabilisation des prix des fourrages. Ces derniers, en raison de la sécheresse notamment, se sont fortement accrus ces derniers mois, augmentant ainsi les charges de production de lait cru. Cédé habituellement aux transformateurs entre 33 et 35 DA le litre, ce prix conjugué à l'aide de 12 DA octroyée par les pouvoirs publics, le prix de vente de lait cru oscille ainsi entre 45 et 47 DA. Ce qui ne correspond pas au coût de revient évalué par les éleveurs à 100 DA. D'où le mouvement de protestation enclenché initialement à Béjaïa et Tizi Ouzou. Ce qui a perturbé la production au niveau local, les transformateurs n'ayant pas répondu à la demande des éleveurs. «Certes, leur revendication est légitime, mais on ne peut pas leur donner plus, sinon le lait et les produits dérivés nous coûteront plus cher. Ce qui se répercutera sur le prix à la vente, donc sur le consommateur», nous dira à ce sujet le premier responsable de la laiterie Soummam, Lounis Hamitouche, dont l'entreprise collecte quotidiennement entre 500 000 et 600 000 litres pour 30 DA le litre et un taux d'intégration de lait cru dans le processus de production de l'ordre de 37% et qui ajoutera : «Si on répond à la demande des éleveurs, le prix du pot de yaourt coûtera par exemple DA, alors qu'il tourne actuellement entre 15 et 23 DA. Ce que le consommateur ne pourra pas supporter». Idem pour les autres produits faits à base de lait cru. Car, pour le LPC, l'entreprise utilise la poudre de lait dont les stocks de l'entreprise sont importants. C'est le même cas pour de nombreuses autres laiteries. Pour ne pas pénaliser les éleveurs, Soummam leur verse directement la prime de 12 da/l une fois le lait collecté. Ce qu'elle récupère par la suite auprès de l'ONIL. Car, nous expliquera M. Hamitouche, l'office ne règle pas cet appui de manière régulière. Une situation qui bloque les éleveurs financièrement. Déjà que les coûts d'élevage sont difficiles à supporter pour des éleveurs dont beaucoup d'entre eux sont nouveaux dans le métier. Un point que soulève M. Nouad : «Certains se retrouvent éleveurs dans un contexte donné», soulignera-t-il. A ce sujet, faudrait-il rappeler qu'ils sont nombreux les jeunes à avoir bénéficié du dispositif de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (ANSEJ) pour se lancer dans ce créneau sans en avoir les connaissances nécessaires, ni l'appui technique. Ce qui fragilise encore la filière déjà affectée par le déficit en fourrage et par les coûts élevés de production. «Assurer d'abord la sécurité alimentaire du cheptel bovin» «Le litre de lait cru vendu au transformateurs est trois fois moins cher que le coût de sa production», nous dira M. Benchakour pout souligner le paradoxe et expliquer la revendication des éleveurs (dont le nombre oscille entre 23 000 et 25 000). Mais pour le président du Cilait, le problème est plus profond. Il est lié à l'absence d'une stratégie claire de développement de la filière laitière. «Il y a lieu de revoir de fond en comble notre politique laitière», plaidera M. Benchakour. Un avis partagé par Mohamed Amokrane Nouad, expert agricole qui précisera : «On ne fait pas le lait, on achète tous les intrants. Le système de produciton actuel ne permet pas le développement durable». Actuellement pour ces experts, le plus important est de mettre en place les conditions nécessaires pour la production du fourrage. Et ce, d'autant qu'une botte de foin coûte beaucoup plus cher que le concentré d'aliments de bétail. «Nous avons un déficit énorme en fourrage et un cheptel peu productif ; nous voulons produire coûte que coûte du lait. Il y a lieu donc de voir comment produire le fourrage», notera à ce sujet M. Benchakour. En d'autres termes, «assurer la sécurité alimentaire des troupeaux d'abord». Car, si aujourd'hui la production de lait cru est faible, (taux d'intégration moyen de 30%) c'est faute de matière première. L'idéal pour M. Benchakour est de trouver des zones, par exemple dans le Sud, pour dégager 200 000 ha de culture fourragère irriguée de manière à aller vers l'autonomie dans dix ans en élevant la production de 4500 litres/an/vache à 6000 ou 7000 litres environ. Parmi les mesures proposées par M. Bechakour, l'on note la révision de la prime d'irrigation. Un système de subventions à multiples carences Il s'agit aussi d'élever des génisses propres à l'Algérie sans recourir excessivement à l'importation de manière à constituer nos propres races. Ceci à long terme. «Mais à court terme, l'Etat peut encore subventionner les éleveurs et la production du LPC», dira encore le président du Cilait. Mais est-ce possible dans la conjoncture économique actuelle marquée par la baisse des recettes d'hydrocarbures ? Avec une subvention du lait, à la régulation du prix et le soutien via les fonds de l'agriculture, le système est déjà marqué par des dysfonctionnements, selon le ministère des Finances. Pour la régulation, il faut noter que les subventions sont directement accordées à l'ONIL pour financer le différentiel du prix du lait (entre le prix de la poudre importée et le prix de cession). Par ailleurs, le soutien en amont dédié au développement de la filière lait intervient à travers le compte d'affectation spéciale (CAS) intitulé «Fonds de développement agricole». Ce mode d'appui intègre les mesures dédiées à l'investissement dans la filière lait et le système de régulation à travers les dispositifs de soutien à la production du lait pour un total de 23 DA, soit 12 DA pour la production, 5 DA pour la collecte, et entre 4 et 6 DA pour la prime d'intégration. Cependant, en dépit des dépenses colossales engagées dans ce cadre (au total, 225 milliards DA entre 2010 et 2015,) le constat du ministère des Finances montre qu'en dépit de l'augmentation de la quantité produite en 2014 par rapport à 2012 (deux fois plus), les quantités de poudre importées ont suivi la même tendance. L'on note aussi au niveau du département des finances que les deux systèmes de soutien au lait devraient être complémentaires. En d'autres termes, la poudre importée devrait suppléer au déficit de lait cru. Ce qui n'est pas le cas actuellement. Aussi, la subvention du LPC profite essentiellement aux ménages à revenus élevés, alors que la subvention du lait frais subventionné favorise trois fois plus les ménages les plus riches. Exemple : pour les yaourts, les ménages aisés en consomment cinq fois plus que les familles les plus démunies.