L'impression que donne Sousse, une semaine après le carnage de l'Impérial Marhaba, est celui d'une ville endeuillée qui veut surmonter son malheur. Des touristes, toujours présents, s'attachent à leur ville fétiche. Les locaux assurent que la ville ne mourra pas. Une dizaine de jours après le drame de l'Impérial Marhaba, la perle du Sahel, comme se plaisent à l'appeler ses habitants, essaie de se donner un semblant de vivacité en ce début de juillet, jadis l'un des mois fastes pour le tourisme. Le mois de Ramadhan peut certes expliquer en partie ce vide touristique. Mais cela ne concerne que les Algériens qui préfèrent rester chez eux durant le mois sacré. Par contre, l'absence des Européens ne peut s'expliquer que par l'impact de l'attaque terroriste du vendredi 26 juin. Pour preuve, les annulations se chiffrent par milliers. «Il y a plus de 5000 désistements pour juillet et août», déplore-t-on du côté de l'Office national du tourisme tunisien (ONTT), qui assure toutefois que «des avions remplis de touristes continuent à arriver à Monastir et Enfidha». Une confirmation pour dire que les hôteliers continuent à résister. Ils tablent surtout sur les Algériens, mais aussi sur les Libyens et les locaux qui profitent des subventions accordées par les mutuelles au profit de leurs adhérents, pour s'offrir des vacances dans les nombreux hôtels. «Il s'agit surtout d'employés de banques, d'établissements publics et de Tunisiens de l'étranger, qui ont passé l'année dernière près de trois millions de nuitées dans les hôtels, soit près de 8% du nombre total de nuitées, qui s'élève à près de 35 millions en 2014», précise-t-on toujours du côté de l'Office national du tourisme tunisien (ONTT). Nostalgie Pour bien comprendre la situation du tourisme, il faut longer le littoral de Sousse, de Boujaâfar vers El Kantaoui et Hergla. Là, les plages sont animées. Pas autant qu'avant, il est vrai. Mais il y a de la vie. Toutefois, une certaine tristesse se lie sur les visages. «Nous ne ressentons pas la peur. Mais nul ne saurait oublier ce qui s'est passé la semaine dernière, d'où ce sentiment mitigé de quelqu'un cherchant à rompre son deuil», dit Caroline, une Française de 35 ans originaire de Lyon, habituée à passer une semaine à Sousse, chaque début de juillet. «Je suis venue dimanche dernier avec ma fille de 12 ans. L'attaque terroriste ne m'a pas fait changer d'avis. L'humanité est appelée à composer avec ce phénomène, quasi universel», poursuit-elle. Une déclaration livrée à El Watan au moment où elle rejoignait son hôtel de résidence. Elle passe ses journées entre la mer et la piscine. Même son de cloche chez Boualem, un Franco-Algérien de 52 ans, qui passe son temps entre Alger et Paris pour ses affaires. «Je ne peux passer trois mois sans faire un petit saut à Sousse. En été, c'est avec la famille. Nous avons nos amis et nos habitudes ici. Terrorisme ou pas, c'est un passage obligé pour nous», dit-il avec une assurance indiscutable. Tout comme Caroline, un lien sentimental s'est tissé entre la ville et ses visiteurs. «Le taux de retour chez nous s'élève à 85% de notre clientèle», affirme Samir, à l'accueil de l'hôtel Hasdrubal, au port El Kantaoui. Malaise Du côté de la plage de Boujaâfar, ce n'est pas la gaieté. La plage symbole de Sousse n'est certes pas au mieux de sa fréquentation. Il y a quelques familles tunisiennes éparpillées sur le rivage. Mais les principaux hôtels de cette plage historique ont fermé depuis des années déjà. Plus de Hana, ni de Hana Beach et, encore moins, les Justinia, Karawan, Ennejma, etc. Des questions se posent sur le devenir de ces anciennes bâtisses. Mais c'est une autre histoire. Pour leur part, les Tunisiens ont des réactions mitigées sur les événements. Pour Habib, la cinquantaine, vétérinaire habitant Chott Meriem, rencontré dans un café au port d'El Kantaoui, «la lutte contre le terrorisme nécessite de continuer à vivre. Parce que les terroristes veulent perturber notre modèle de vie par leurs actes odieux. Toutefois, il ne faut pas se résigner à accepter les pertes de vies humaines. Tout le monde doit assumer son rôle, à commencer par l'Etat, qui doit protéger ses citoyens, ainsi que ses invités.» Quant à Slah, directeur de société, il admet que «le risque terroriste n'est pas encore assimilé dans sa véritable dimension, y compris dans certaines structures des forces de sécurité. D'où le long chemin à parcourir pour protéger la patrie et ses citoyens et leur permettre de vivre à leur manière.» Il ressort clairement des propos des Tunisiens rencontrés à Sousse que leur objectif c'est la continuité de la vie malgré la présence des terroristes dans la proximité. «Il faut trouver les mécanismes adéquats pour leur faire peur et les empêcher d'agir, les empêcher de réfléchir parce que toute la société constitue un bouclier contre eux», insiste Mongi, un retraité rencontré autour de la même table. Pour lui, «la doctrine terroriste est un virus malsain rejeté par la société, comme l'atteste le fait que les citoyens de Gaâfour aient refusé d'enterrer dans leur cimetière communal le terroriste de Sousse. Il a été enterré dehors. Sa mère a dit que son fils a terminé sa vie en criminel et l'a déshonorée». Le gouvernement a certes pris des mesures pour contrer le terrorisme. Il a décidé de rappeler les réservistes, armé la police touristique et fermé 80 mosquées illégales. De telles décisions en plein mois de Ramadhan en plus d'un rappel à l'ordre au parti Ettahrir, dont la position est floue par rapport au terrorisme. Les positions gouvernementales ont suscité quelques manifestations à Kalaâ Kebira et Msaken. Mais, la pilule est passée. Toutefois, la partie est encore longue.