Un profond sentiment d'injustice parcourt la vallée du M'zab. L'arrestation, jeudi soir, de Kameleddine Fekhar, l'égérie de la jeunesse autonomiste du M'zab, déchaîne les passions. Un deux poids, deux mesures et une stigmatisation de la communauté qui mettent résolument en émoi et sous haute tension toute la vallée. Ksar Ath Mlichet (Melika), vendredi, 1h du matin. La nouvelle de l'arrestation de Fekhar, le leader autonomiste, membre de la Ligue des droits de l'homme, a déjà fait le tour des ksour. Vers 22h, dans son mossala, «sa» mosquée située en centre-ville, dans le quartier Arrai, Fekhar et 27 Mozabites, dont des partisans de son mouvement, ont été embarqués manu militari. Des témoignages font état d'une descente violente de policiers opérée vers 22h et avec tirs d'arme à feu au sein même du lieu de culte. «Ils ont emmené tous le monde, y compris un mineur», raconte un témoin. Le dispositif policier mis en place pour son arrestation était impressionnant. Les survols des hélicoptères de police et de gendarmerie ont accompagné l'opération. Au commissariat central, Fekhar et compagnie avaient été rejoints par les membres de sa famille et ses partisans qui demandaient à le «voir». Sans succès. Concernant les motifs de l'arrestation, une source policière évoque «l'incitation à la haine raciale» et «d'anciennes affaires» restées pendantes. Sa présentation devant le parquet devrait intervenir aujourd'hui. Figure politique diabolisée, bête noire des salafistes et des médias proche de l'appareil sécuritaire, Fekhar est le «parfait émissaire». Pour Slimane, retraité d'une banque, Fekhar «est devenu le coupable idéal qu'on charge de tous les crimes commis et non commis (…) c'est une façon de nous dire : dénoncez-vous, vous les Mozabites, dites que vous êtes les responsables de vos morts et de la destruction qu'il y a eus et on vous f…la paix». Mohamed Tounsi du conseil des notables de Melika estime que l'arrestation de Fekhar dont «l'influence est marginale» au sein de la communauté ait des «objectifs inavoués» et va dans le sens de la provocation d'une réaction des Mozabites qui légitimerait une plus grande répression. A Hamou Mesbah, fédéral du FFS, cette arrestation et sa mise en scène inspirent de l'ironie : «C'est comme s'ils avaient capturé Al Baghdadi (calife de Daech) en personne ou Mokhtar Belmokhtar.» «C'est un militant politique, rappelle-t-il, avec qui nous ne sommes pas d'accord, un militant des droits de l'homme et qui ne s'est rendu responsable d'aucune incitation à la haine ni d'aucun crime. Contrairement à ceux, nombreux, coupables pourtant de crimes de sang, de destructions de biens et sur lesquels l'Etat ne veut décidément pas appliquer la loi.» La politique des deux poids, deux mesures est évidente en le cas d'espèce, estime pour sa part Lalouani Slimane, élu APW : «Pourquoi les assassins des Kebayli Belhadj et autres n'ont jamais été arrêtés, alors que tout le monde connaît leur adresse, et se pavanent en toute liberté ? Pourquoi laisse-t-on des imams takfiristes, payés avec l'argent public, appeler au meurtre et à la haine raciale et dans des mosquées publiques, comme c'est le cas à Sidi Abbaz ?» A la place du marché de Melika, le sujet défraie la chronique et meuble les conjectures. Une vague d'arrestations et interpellations à grande échelle et touchant des individus recherchés des deux communautés est en cours. L'entrée et la sortie des ksour se font systématiquement sous contrôle policier. De nouveau réarmés, les policiers passent au crible toute personne et véhicule suspects. Contrôles et fouilles systématiques au niveau des nombreux barrages installés et/ou renforcés, depuis la reprises des affrontements sanglants, lundi et mercredi derniers. Ville garnison, Ghardaïa, – dont la sécurité relève désormais des prérogatives de l'armée, notamment du chef de la 4e Région militaire, le général Cherif Abderrezak – compte quelque 10 000 policiers et gendarmes déployés. Toutefois, aucun déploiement de militaires n'est signalé dans la région. Un calme plat règne dans les faubourgs de la médina. A Guerrara, hier, à 7h du matin, une imposante procession funèbre parcourait, dans le calme et la discipline, les artères de la ville moribonde. Au-dessus des épaules des processionnaires, les 13 dépouilles des Mozabites, tués la semaine dernière lors d'affrontements intercommunautaires, s'en vont vers leur dernière demeure et seront ensevelies. La 14e victime est enterrée presque à la même heure à El Atteuf, au sud de Ghardaïa. Le ksar de Tajnant, rebaptisé El Atteuf par le parti unique, le plus ancien de la vallée, avec ses 1000 ans, enregistre son premier mort. Jamais, de mémoire d'homme, la vallée du M'zab n'a eu à enterrer autant de morts ni porter de deuil à la fois. «C'est notre offrande à la patrie et nous les offrons en sacrifice à l'Algérie et à son unité», invite haut l'imam. Dans son oraison, il en appellera au président Bouteflika pour «rendre justice» et «appliquer la loi».