Quels sont réellement les moyens qui puissent permettre à l'Algérie de se prémunir contre les chocs extérieurs en cette période ? Depuis fin juin 2014, le prix du baril du pétrole Brent est passé de 110 $ à 63 $, soit une baisse de plus de 40%. Cette baisse a entraîné des conséquences dramatiques pour l'économie du pays, en particulier un déficit budgétaire de 457,2 Mds de dinars pour les trois premiers mois de 2015. Une fois annualisé, ce déficit représente 10 à 11% du PIB. C'est énorme. Le pays fait face à un déséquilibre budgétaire très sévère. Ce déficit sera comblé par le Fonds de régulation des recettes qui s'épuisera en mai 2017 si rien n'est fait. Cette crise budgétaire est le problème n°1 à régler. Il est donc urgent de prendre des décisions adéquates à ce problème. Pour faire simple, il faut baisser les dépenses et augmenter les recettes. Les dépenses d'équipements ont fortement baissé (-17% pour les quatre premiers mois de l'année), alors que celles de fonctionnement sont en hausse (+14%). Les marges de manœuvre sont dans les subventions implicites. Pour l'année 2013, elles étaient de 818 Mds DA pour le carburant, 684 Mds pour l'électricité, 578 Mds pour le gaz, et 1081 Mds pour les subventions de nature fiscale. Les subventions énergétiques, en particulier pour le carburant, sont anti-sociales car ce sont les ménages les plus aisés qui en profitent et anti-économiques, car elles créent de très mauvaises externalités (par exemple, elles forcent l'Etat à construire beaucoup de centrales électriques). C'est particulièrement vrai pour le carburant, car les ménages aux revenus les plus faibles ne disposent pas de voitures et une bonne partie de l'essence va chez les voisins sous forme de contrebande. Votre journal a publié le 8 juin dernier un chiffre qui résume la gabegie de notre système de subventions : la moitié la moins aisée de la population reçoit 28% des subventions totales, alors que le reste va chez la moitié la plus aisée. C'est un système anti-social qui doit cesser au plus vite. Lors de son interview à la radio Chaîne III du 29 juin dernier, le ministre des Finances a dit et répété qu'il était temps que les entreprises rendent ce qu'elles ont reçu depuis dix ans en exonérations fiscales, sans plus de précision. Il faisait clairement allusion aux 1081 Mds DA de subventions fiscales dont une bonne partie va aux entreprises. Il est effectivement temps d'évaluer l'impact de ces subventions, en particulier sur le taux d'intégration des produits algériens et sur l'efficacité des entreprises. En particulier, je pense qu'il est fondamental que ces aides soient incitatives et qu'elles baissent si la contribution de l'entreprise au développement industriel, que ce soit en termes d'investissement et d'emplois ou en termes d'intégration, stagne. Mes collègues Raouf Boucekkine et Rafik Bouklia-Hassane et moi-même venons d'écrire une contribution où nous abordons certaines mesures envisagées par le gouvernement pour faire face à la crise. En plus de la réduction des subventions implicites, nous avons abordé la question des importations. Les nouvelles orientations du gouvernement sont prometteuses, mais elles devraient se concrétiser de façon plus ferme sur le terrain. Ainsi, instaurer des licences pour limiter l'importation de voitures à 400 000 pour 2016 sera sans effet, car la baisse du dinar suffira à atteindre cet objectif. Une politique de limitation des importations n'a de sens que si elle est globale, explicitement fondée sur des plans sectoriels et quantitativement significative ; elle ne peut se contenter de mettre à l'index un ou deux sous-secteurs pour le symbole, sans que cela ne soit suivi d'ailleurs de mesures quantitativement significatives. La crédibilité du gouvernement dans sa lutte supposée contre les lobbys d'importateurs est à ce prix. Nous avons aussi abordé le projet de limiter la taille du secteur informel. Nous pensons que réduire ce projet à une amnistie fiscale (avec une pénalité de 10% qui est à comparer avec les 23% de l'IBS) risque d'être un échec et pourrait même avoir à terme un effet contraire, car elle déculpabiliserait ceux qui jusqu'alors étaient pleinement dans la légalité, qui seraient alors tentés, voire incités à «tricher». En effet, la littérature économique montre qu'une amnistie n'a d'effet durable que si elle est accompagnée de l'engagement de l'Etat à augmenter ses efforts (au sens large) pour identifier et punir les comportements illégaux, et si cet engagement est crédible. Enfin, nous avons aussi abordé le sujet de la valeur du dinar. Sur une année, le dinar a baissé de 20% par rapport au dollar, mais moins que la couronne norvégienne (21,2%), alors que l'économie scandinave est plus diversifiée que la nôtre. Pire, en termes réels, le dinar a augmenté par rapport à l'euro de 3%, ce qui est un non-sens économique et très coûteux pour l'économie du pays. La Banque d'Algérie parle d'une surévaluation de 5%. C'est un minimum. Le dinar doit baisser rapidement, surtout que l'inflation mondiale est très basse, ce qui représente une vraie opportunité. L'Etat ne devrait-il pas commencer à donner l'exemple en faisant des coupes sur le budget de fonctionnement ? Le budget de fonctionnement est composé des salaires et des retraites des fonctionnaires. Il paraît difficile de le baisser à court terme ; l'inflation s'en chargera. La suppression de l'article 87 bis va faire augmenter ce budget. Personnellement, je suis favorable à cette suppression car de fait elle avait instauré plusieurs salaires minimums en défaveur des plus bas salaires et en enlevant les incitatifs à la performance. Il pourrait être intéressant d'avoir plusieurs salaires minimums, par exemple pour le travail agricole comme chez nos voisins ou pour les jeunes comme dans certains pays, mais pas de manière unilatérale comme c'était le cas chez nous. Certaines critiques disent que ceci va représenter beaucoup d'argent, ce qui veut dire en fait que pendant une longue période beaucoup d'argent avait été enlevé aux plus bas salaires. Comme je l'ai déjà dit, le budget des équipements a beaucoup baissé, et malheureusement il est probable que ce ne soit pas uniquement des projets non-prioritaires qui ont été annulés. J'espère que les programmes de construction de logements et d'hôpitaux ne seront pas réduits, mais je suis très sceptique. Et c'est là que le bât blesse. Il y a beaucoup de bruit au sujet de l'augmentation possible du prix de l'essence, le patronat réclame toutes sortes de baisses d'impôts, le lobby des importateurs s'en prend à la baisse du dinar, mais personne ne demande au gouvernement de publier la liste des projets arrêtés, et ces projets vont être très nombreux au vu du déficit budgétaire. Quelles sont les leçons à tirer de la crise grecque ? Sur le plan économique, aucune car la Grèce fait partie de la zone euro. Notre pays a déjà connu la brutalité et la violence d'un ajustement structurel. Il faut espérer que nous ne le connaîtrons pas à nouveau, ce qui nécessite des réformes structurelles urgentes.S. I.