Jamais la compagnie maritime Cnan Group n'a connu une situation aussi inquiétante que celle qu'elle traverse actuellement. Plongée dans la tourmente depuis le naufrage de ses deux navires, le Béchar ayant causé la mort de 16 marins, et le Batna, au port d'Alger, la compagnie n'arrive plus à rétablir sa situation financière qui a pris un sérieux coup, mais aussi le climat de travail qui s'est détérioré après l'incarcération des cinq cadres dirigeants, dont le PDG, Ali Koudil, condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement comprises entre 5 et 15 ans. La nomination d'un intérimaire, Ali Boumbar, pour assurer la continuité du service n'a pas pour autant aidé à la remise sur pied de la compagnie. En effet, cette dernière est confrontée à de graves problèmes financiers, notamment depuis le fait des pertes occasionnées par l'affrètement d'un vieux navire, le Millénium express, pour se lancer dans le transport des passagers (voir encadré). Nommé par intérim, juste après l'incarcération des cadres dirigeants, Ali Boumbar, qui cumule trois autres postes de responsabilité, à savoir délégué général pour la zone Europe, directeur général de la délégation de Marseille et directeur général de la société mixte algéro-belge de transit d'affrètement et de consignation, Isa-Anvers (gérée par une ressortissante marocaine), n'a pu redresser la situation et a fini par déposer sa démission (du poste de PDG seulement) au moment même où se déroulait le procès des cadres dirigeants de la compagnie. Ce qui ne l'empêchera pas d'affecter à Marseille au début du mois d'août dernier et à la surprise générale, un responsable du syndicat d'entreprise, sous le coup d'une condamnation de deux années de prison pour mauvaise gestion des œuvres sociales (l'affaire est actuellement au niveau de la Cour suprême). Le conseil d'administration, qui devait statuer sur l'élection d'un nouveau PDG, a décidé de reporter l'opération à septembre. A ce jour, aucune décision n'a été prise. Trois commandants de bord qui ont fait leur carrière au sein de la Cnan, à savoir MM. Bouzidi, Djebari et Châaf, et le directeur des finances, M. Mahbabi, ainsi que le tout nouveau directeur de Maghreb Line, M. Berbiche, ont présenté leur candidature pour ce poste. La mission du nouveau responsable sera très rude parce qu'il assumera la lourde tâche de faire sortir le bateau Cnan du creux de la vague et de lui permettre de reprendre la mer. Il est à signaler qu'une bonne partie de la flotte est vétuste et sa maintenance coûte des sommes colossales en devises, du fait des arrêts techniques. A cela s'est ajoutée une gestion très controversée des navires dont les allées et venues dans les chantiers étrangers sont suspectées de complaisance. Affrété au prix fort (15 000 USD/jour) pour servir au transport des passagers (qui n'est pas la mission de la Cnan, puisque celle-ci a pour tâche principale le transport de la marchandise), le navire Millénium express a occasionné un déficit énorme à la compagnie. En deux ans, il a coûté la bagatelle de plus de 2 millions de dollars USD. Le nouveau PDG aura devant lui deux options. Soit assainir la situation de crise aiguë vécue par la compagnie ou alors poursuivre le plan de mise en vente des navires restants de la Cnan dans le cadre de la restructuration. Celle-ci prévoit le démembrement de toutes les filiales de l'entreprise, sans pour autant être claire sur le devenir de la compagnie, puisque les pouvoirs publics n'ont à aucun moment exprimé leur volonté de renouveler la flotte de la Cnan, une fois tous les bateaux vendus. Il est important de préciser que les sept filiales du groupe Cnan n'ont aucun pouvoir de décision, et leurs directeurs généraux ne sont pas administrateurs au sein de leur propre conseil d'administration. L'ensemble des administrateurs de ces filiales ne sont que des cadres de la compagnie et de ses structures prestataires. Ce qui est incompatible avec la notion de bonne gouvernance et d'autonomie de gestion. C'est le cas par exemple de la filiale Med (Méditerranée), dirigée par l'inspecteur général de la flotte, ou encore le cas de la filiale nord, dont le président du conseil d'administration n'est autre que le directeur de l'armement technique (structure qui frète ses navires aux filiales). Parallèlement à ce constat, le nouveau PDG aura aussi à aplanir un climat de tension ayant paralysé les relations de travail, tantôt entre les responsables et le personnel navigant, tantôt entre les commandants de bord et les marins. La non-reconnaissance du Syndicat autonome des officiers de la marine marchande (Snomar), la non-réintégration des commandants de bord suspendus par l'ancien PDG, Ali Koudil, et réhabilités par des décisions de justice (définitives), l'allégeance du syndicat UGTA à l'équipe dirigeante en dépit de la grave crise qui secoue la compagnie et son implication dans le scandale du trou financier découvert dans la gestion des œuvres sociales, sont les principaux ingrédients d'une situation explosive qui mine les relations de travail et paralyse totalement toute volonté de remise en marche de la compagnie.
