L'annonce de la saisie des deux navires Tablat et Ibn Sina appartenant à la compagnie de transport maritime Cnan, à Marseille, en France, puis à Anvers, en Belgique, par Progres, un affréteur grec, a eu pour conséquence la suspension de trois responsables de leurs postes de cadres dirigeants. Ces derniers ont été chargés par le PDG par intérim (démissionnaire) de Cnan Group de suivre ce contentieux jusqu'à son règlement par voie de justice. Si le navire Tablat a pu quitter le port de Marseille pour rejoindre Alger après un accord de rééchelonnement de 1,6 million d'euros, objet de la saisie, Ibn Sina attend toujours à Anvers une solution pour honorer une facture impayée de 2,4 millions d'euros et pouvoir reprendre la mer. Ces saisies sont devenues le quotidien de la compagnie maritime confrontée, ces dernières années, à de graves problèmes de gestion ayant causé un préjudice inestimable à sa trésorerie et poussé à la cession sous forme de partenariat ses trois plus importantes filiales et la dissolution de trois autres. Parallèlement, une grande partie de son personnel a été sommée de prendre sa retraite anticipée ou de procéder à des départs volontaires. Comment une telle compagnie, considérée comme l'un des plus grands armateurs à travers le monde ( plus de 70 navires) et représentée sur les cinq continents du globe, a-t-elle pu se retrouver dans une situation aussi catastrophique ? Si certains expliquent cela par l'ouverture du marché du transport maritime et la vétusté de la flotte maritime, d'autres, et ils sont plus nombreux, pointent du doigt les nombreux dirigeants qui se sont succédé à la tête de l'entreprise et qui, selon nos interlocuteurs, ont été à l'origine de sa mise en faillite. L'ambition démesurée des différents responsables a favorisé la marginalisation des professionnels, notamment le personnel naviguant à la vie active de la compagnie, dont les activités se sont réduites au fil des ans comme une peau de chagrin du fait de la perte de grandes parts de marché cédées soit par incompétence soit par complicité à la concurrence. Un armateur, révèlent nos sources, doit savoir renouveler sa flotte pour s'adapter à la configuration du marché afin de se maintenir dans la compétition. Pour nos interlocuteurs, la compagnie aurait pu être sauvée si le plan de restructuration établi sur une période de 4 ans, accepté par le gouvernement en 2003, avait été mis en œuvre. A l'époque, il était question de céder, sur une période de 4 ans, les navires vétustes dont la facture de l'entretien dépassait parfois, selon les responsables de la Cnan, 150 millions de dollars. Le prix de cession retenu (en 2003) était celui de la casse. C'est-à-dire 300 dollars la tonne. La cession devait permettre une rentrée de 41 135 700 dollars US. Une somme devant être réinvestie en grande partie dans l'acquisition de 12 nouveaux navires et permettant l'indemnisation du personnel touché par les départs volontaires. Le naufrage du Béchar a laissé des traces La trésorerie de la compagnie avait déjà, dans des comptes suisses, reçu les revenus de l'opération de vente des navires Timimoun, Tindouf, Beni Saf, Ghazaouet, Ibn Badis, Ibn Battouta, etc. En parallèle, la compagnie devait acheter 12 navires parmi lesquels des vraquiers-céréaliers, des porte-conteneurs et multipurpose. Le choix de ce type de navires n'était pas fortuit. La Cnan devait, en vertu du nouveau plan de restructuration, avoir comme activité uniquement le transport des produits stratégiques et nécessaires, d'autant qu'un partenaire chinois lui avait accordé une ligne de crédit d'environ 100 millions de dollars pour la construction (en Chine) de ces bateaux. Cet élan de restructuration a été stoppé par le drame qui a endeuillé la compagnie, en cette nuit du 13 au 14 novembre 2004, la veille de la fête de l'Aïd, le naufrage du Béchar qui a coûté la vie à 16 marins et l'échouement du Batna au port d'Alger, sous le regard impuissant des Algérois. Pendant des heures, les victimes croyaient fermement aux vaines promesses des officiers du Centre national des opérations de sauvetage et de secours (Cnoss) de l'arrivée des secours. Au lieu de se jeter à l'eau, les marins se sont battus contre les violentes vagues au prix de leur vie. La tragédie a bouleversé l'opinion publique et poussé les autorités, pour la première fois, à ouvrir une information judiciaire pour mauvaise gestion de la flotte ayant entraîné la mort de marins. Une flotte vétuste Les cadres dirigeants, dont le PDG et ses proches collaborateurs, ont été poursuivis et condamnés à des peines de prison allant de 5 à 15 ans de prison. Plongée dans la tourmente, la Cnan n'a pu rétablir sa situation financière ni assainir le climat de travail sérieusement affecté. La nomination d'un intérimaire, Ali Boumbar, pour assurer la continuité du service n'a pas pour autant aidé à la remise sur pied de la compagnie, confrontée à de graves problèmes, qui l'ont d'ailleurs poussé à déposer sa démission au moment même où le tribunal criminel d'Alger s'apprêtait à juger l'affaire du naufrage du Béchar et de l'échouage du Batna. Le nouveau PDG par intérim n'est pas étranger à la compagnie. Il cumule plusieurs postes de responsabilité au sein de groupe Cnan, à savoir celui de directeur général des représentations de la compagnie pour le nord de l'Europe à Anvers (Belgique), pour Marseille, pour l'Espagne et pour l'Italie. Sa démission concerne uniquement son poste de PDG par intérim et non pas les autres. La Gestramar (la SGP qui gère le porte-feuille de la compagnie) a répondu favorablement à demande de Ali Boumbar, tout en recueillant les cinq candidatures qui se sont présentées pour pourvoir ce poste. Il s'agit de trois commandants de bord qui ont fait leur carrière au sein de la Cnan, à savoir MM. Bouzidi, Djebari et Châaf, et du directeur des finances, M. Mahbabi, ainsi que le tout nouveau directeur de Maghreb Line, M. Berbiche. Le nouveau PDG n'a pas été élu, alors que l'élection devait se tenir au plus tard le mois de septembre 2006. Ce qui a aggravé la situation de l'entreprise, déjà confrontée à la vétusté de la flotte et à une gestion controversée des navires dits en bonne santé dont les allers et venues dans les chantiers étrangers sont suspectés de complaisance. Affrété à15 000 USD/jour pour servir au transport des passagers, le navire Millénium express a occasionné un déficit énorme à la compagnie. En deux ans, il a coûté la bagatelle de plus de 2 millions de dollars USD. Plus grave, la filiale Cnan Marseille fait l'objet d'une escroquerie qui lui a coûté 400 000 euros, montant d'une ardoise laissée par la société Solazur (dirigée par un ressortissant algérien). Pour échapper à toute mesure de recouvrement de ses dettes auprès de Cnan Med, Solazur a tout simplement déclaré faillite. Au moment où les employés de cette filiale revendiquaient leurs droits, le personnel de la Cnan apprend le nouveau plan de restructuration de la Cnan. Il s'agit de la cession des trois principales filiales du groupe à des partenaires privés étrangers. Ainsi, la filiale Nord avec ses 5 navires est cédée à 51% des parts à Gofast, la filiale Méditerranée avec ses 3 navires cédée à 49% à Diario Périoli, et la filiale tramping avec ses 6 navires cédée à 49% à la société égyptienne Pharaon. Si pour les deux premiers acquéreurs, le contrat prévoit la prise du personnel navigant, Pharaon, le partenaire égyptien, a décroché un contrat de management qui lui permet de choisir l'équipage. Ce plan a été adopté et devait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2007. Toutes les négociations autour de ces contrats de partenariat se sont faites sans que la moindre information ne soit donnée aux travailleurs.