On savait les faits et gestes de la ministre de l'Education nationale assidûment épiés par les farouches gardiens du fourre-tout idéologique national. Mais le récent tocsin hystérique sonné pour faire barrage à ses velléités supposées de «démanteler» l'enseignement de la langue arabe est d'une telle virulence et procède d'une telle mauvaise foi qu'il nous remet devant un autre implacable constat : avec ou sans Benghebrit, la réforme de l'école passera par une féroce confrontation idéologique qui laissera très peu de place au débat scientifique et dans laquelle l'engagement intéressé de l'Etat sera décisif. On aura beau chercher des arguments pédagogiques dans la grosse débauche d'objections outrées qui ont accueilli la proposition, lors de la dernière conférence d'évaluation de l'éducation, de privilégier la langue maternelle dans la transmission du savoir aux tout-petits. L'ensemble du réquisitoire hoquette compulsivement autour de récriminations chevrotantes hurlant à l'hérésie et ciblant à l'obsession la personne de la ministre. Tout l'effort de pédagogie, déployé justement par Mme Benghebrit et ses collaborateurs, pour expliquer que ce n'est là qu'une proposition que des experts ont mis sur la table, que la norme universelle invite au moins à des remises en question sur le sujet… ont buté et butent encore sur l'entêtement de ces légions fanatiques opposant l'émotion viciée à la réflexion. Désormais, effet de meute aidant, on ne demande rien de moins que la tête de Mme Benghebrit pour sauver l'école de l'infusion à grande échelle de cette «aâmia», jugée trop roturière et «virusée» pour ne pas s'avérer une arme de destruction massive pour l'arabe. L'épisode, accessoirement, renseigne sur l'étendue de l'estime qu'on voue dans ces milieux au patrimoine oral légué par les siècles et sur leur mépris recuit à l'égard de toute algérianité qui ne serait pas la soumise reproduction de cette arabité fantasmée, et n'existant nulle part en dehors de leur imaginaire tourmenté. Il y en a eu même qui ont frémi à l'idée que l'on ose toucher, au nom de principes scientifiques jugés triviaux, à la suprématie sacrée de la «langue du paradis». C'est dire combien le débat est impossible entre des franges sublimant l'archaïsme et l'inertie en autant de casemates identitaires et des voix cherchant simplement à initier les débats qu'impose l'évolution du monde à la nation. C'est en ce sens que l'Etat doit assumer la responsabilité de la décision et de l'action pour ne pas faire durer encore le spectacle des étalages stériles des névroses nationales, là où il est à peine question d'éviter à un élève de six ans le hiatus linguistique dès ses premiers contacts avec l'école. Sauf que le même Etat a, il y a quelque temps, montré de quoi il était capable en la matière. N'a-t-il pas trouvé suffisamment respectable le «droit» de l'époux à battre impunément sa femme, en renvoyant à un «plus tard» incertain l'adoption de cette coquetterie de texte traitant des violences faites aux femmes et mis au point pourtant par ses propres experts ?