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Le «commandant Cousteau» de Tipasa
Samia Balistrou
Publié dans El Watan le 07 - 08 - 2015

Quand Samia Balistrou sort de l'eau avec deux sacs en plastique pleins à craquer en annonçant à son mari qu'elle a fait ses courses, on se demande de prime abord si elle a vraiment croisé un chalutier pour préparer la friture de ce midi.
Mais non, en réalité, à chaque sortie en mer, la plongeuse en profite pour ramasser tous les morceaux de plastique, bouteilles et autres détritus qu'elle trouve dans l'eau, même lorsqu'elle assure un cours de plongée. «Je milite contre le plastique, il faut vraiment arrêter, ça pollue énormément ! Et puis les sacs en plastique se fragmentent très rapidement au contact des rochers, ensuite c'est irrécupérable, il y en a partout», s'emporte Samia avec sincérité. Pourtant, la monitrice ne se dit pas forcément «écolo de nature».
Mais sa passion pour la mer l'a poussée à s'inquiéter de cette détérioration croissante des fonds marins. «Le problème, c'est que 99% des Algériens n'ont jamais vraiment mis la tête sous l'eau.
Alors ça fait de nous -les plongeurs- les ambassadeurs de la mer. On se doit de tirer la sonnette d'alarme», développe-t-elle.
Pionnière dans toute l'Afrique
Des sorties en mer comme celle de ce matin, où elle a accompagné deux de ses élèves pour s'entraîner à des exercices de sauvetage, Samia en a fait des milliers. Mais au fil des années, sa passion pour la plongée est restée intacte. «Ce qui est formidable, c'est que l'horizon de la mer est sans limite.
Parfois, j'envie quand même les personnes qui viennent s'initier, parce que c'est vraiment sublime la sensation que l'on a quand on découvre cet univers pour la première fois», s'émerveille Samia, en observant une jeune Algéroise qui vient d'effectuer son baptême de plongée aujourd'hui et qui ressort de l'eau avec un sourire jusqu'aux oreilles et l'envie d'y retourner immédiatement. La monitrice, elle, a déjà une trentaine d'années d'expérience à son actif. C'est au début des années 1980 qu'elle rejoint le club de plongée de l'Espadon, à Alger, sa ville d'origine.
A l'époque, les femmes qui faisaient de la plongée dans ce club, pourtant précurseur, se comptaient sur les doigts d'une seule main. Mais Samia se démarque très vite : en 1985, elle devient la première femme algérienne à atteindre le brevet de plongeur niveau III. «Pendant 25 ans, j'ai été la seule femme à avoir ce niveau non seulement en Algérie, mais sur tout le continent africain, explique cette monitrice d'exception, mais aujourd'hui, heureusement, je ne suis plus la seule.» Pionnière, Samia sera aussi la première à ouvrir son propre club de plongée, en 1988, à Tipasa. «C'était un club associatif.
La plongée n'existait pas encore dans la région à ce moment-la, raconte-t-elle, et j'ai pu l'ouvrir grâce à des financements de la commune.» Dans ce club, Samia s'investit corps et âme et fait de nombreuses rencontres. Mais l'une d'elles va marquer sa vie.
Celle avec Mourad, son futur époux. Lui aussi plongeur, il connaît la région et lui apporte un soutien indéfectible et nécessaire, «car la mentalité était difficile à Tipasa, surtout vis-à-vis d'une femme qui fait de la plongée», se souvient Mourad. A chaque étape, le couple va faire bloc. Y compris pendant la décennie noire. «Des hommes du FIS sont passés me voir pour me dire que je ne pouvais pas plonger parce que j'étais une femme, se rappelle Samia, comme tout le monde, on a vécu des choses dures, mais je ne voulais pas arrêter.»
Une passion communicative
A présent, Samia et Mourad gèrent ensemble le club qu'ils ont fondé en 2010, Under Sea Tipasa, avec une expertise hors du commun, puisqu'ils comptabilisent à eux deux 60 ans de plongée. «Ce qui est vraiment agréable ici, c'est l'ambiance familiale, raconte Adlène, un des élèves, et puis c'est un des rares clubs en Algérie où on peut avoir des certifications reconnues par la PADI (l'Association professionnelle des instructeurs de plongée), la plus grande association internationale de plongée sous-marine».
Parmi leurs disciples qui plongent aujourd'hui, Samia encadre tout particulièrement deux jeunes hommes, belge et français, qui terminent leur formation.
Quand elle sort en mer avec eux, la monitrice ne lésine pas sur la sécurité. Bien qu'ils plongent à une vingtaine de mètres du bord, elle prend avec elle tout de même une petite bouée orange qui les suit partout. «C'est un signal qui permet de notifier notre position aux bateaux», indique-t-elle au moment de se mettre à l'eau. Avant de s'enfoncer dans les profondeurs sous-marines, ses deux élèves effectuent un «check partner» : ils contrôlent le matériel de leur partenaire pour s'assurer que tout fonctionne correctement, sous l'œil vigilant de leur accompagnatrice.
Ces vérifications faites, les trois plongeurs disparaissent sous l'eau en un claquement de doigt. Seules quelques grosses bulles remontent irrégulièrement à la surface, comme pour rythmer leur escapade maritime.
A peine le temps de reprendre son souffle après l'excursion, l'heure est déjà au débriefing. «Attention, si une personne s'évanouit pendant la plongée, elle risque de reprendre conscience et de boire la tasse lorsque vous la remontez à la surface. Donc, il faut bien penser à lui mettre le détendeur (ndlr : embout relié à la bouteille de plongée et qui administre de l'air au plongeur) sur la bouche», précise la professeure.
«Mais à part ça, vous avez bien géré», conclut Samia, fière de ses apprentis secouristes. Car cette cinquantenaire, à la joie de vivre communicative, adore transmettre son savoir. «C'est une petite maman», estime Andy, qui suivait le cours aujourd'hui, «elle est top, très pédagogue».
Et Benjamin, un autre élève, de surenchérir : «Oui, elle est très attentionnée, elle a toujours un geste pour aider.» Régulièrement, Samia et Mourad organisent aussi des sessions de plongée pour les orphelins pris en charge par l'association SOS Village d'enfants de Draria. Dernièrement, Samia a aussi encadré des écoliers pour leur apprendre à nager et les familiariser au milieu marin.
«C'est par l'éducation que l'on apprendra à nos enfants à respecter ce trésor qu'est la mer», argue-t-elle. La plongeuse a d'ailleurs commencé par son fils, devenu lui aussi moniteur de plongée.
Dans un sourire, Samia se souvient, en rigolant : «J'ai un ami qui, pour plaisanter, m'a dit un jour que vu ses parents, il avait peu de chances de devenir alpiniste.».


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