Par : Morad Boularaf. Ex- fonctionnaire parlementaire Nombreux sont les citoyens africains qui ignorent l'existence d'un Parlement panafricain, organe législatif de l'Union africaine (UA). La présente contribution a pour objectif d'informer les lecteurs sur le fonctionnement, les missions et le rôle du Parlement panafricain et par le même occasion contribuer à sa visibilité. Le Parlement panafricain a été créé en vertu de l'article 5 de l'Acte constitutif de l'Union africaine et installé officiellement dans ses fonctions le 18 mars 2004. Il est régi par un Protocole au Traité instituant la Communauté économique africaine qui édicte les règles et principes de son fonctionnement et énonce clairement que le Parlement dispose dans sa première étape de pouvoirs consultatifs et que l'objectif ultime est de passer à des pouvoirs législatifs. Chaque Etat membre y est représenté par cinq (5) parlementaires dont au moins une femme élus ou désignés par leurs Parlements ou Organes législatifs nationaux ; son siège est à Midrand, en Afrique du Sud ; il tient au moins deux sessions ordinaires par an . Il dispose de dix (10) Commissions permanentes dont les attributions couvrent tous les aspects de la vie politique, socio-économique, culturelle… du continent. Son Bureau est composé d'un Président et de quatre (4) Vice-Présidents représentant les cinq régions géographiques du continent. Trois Présidents ont déjà géré le Parlement panafricain : Mme Gertrude Mongella de Tanzanie, feu Idriss Ndélé Moussa du Tchad, M. Amadi Bethel du Nigeria et depuis le 27 mai dernier c'est le quatrième Président qui est à la tête de cette institution ; il s'agit de l'honorable Roger Dan Nkodo du Cameroun, brillamment élu par ses pairs lors de la dernière session. L'actuel Président connaît parfaitement le Parlement panafricain ou il siège depuis 2007 et a été très actif en commissions et en plénière. Avant d'accéder à la présidence, il occupait le poste de premier Vice-Président du Parlement. Le nouveau Bureau issu de la dernière session a une mission très importante à accomplir, à savoir sensibiliser autant que possible les dirigeants africains membres de l'Union africaine pour accélérer la ratification du Protocole régissant le Parlement panafricain dont la révision a été entérinée par le Sommet de l'Union africaine tenu à Malabo, en Guinée équatoriale, en juillet 2014. A la faveur de cette révision, le Parlement panafricain vient d'être investi de la prérogative d'élaborer des lois-types ou directives dans des domaines bien précis et qui peuvent servir de référence pour les législations nationales. Il faut reconnaître que cette nouvelle attribution représente une avancée notable et un progrès significatif dans la vie du Parlement existant depuis dix années seulement. Il y a lieu de rappeler que le Protocole initial prévoyait dans son article 25 que les Etats parties organisent après cinq années d'existence une conférence pour évaluer le fonctionnement du Parlement et examiner les voies et modalités de sa transformation en Parlement disposant de pouvoirs législatifs. C'est ainsi que le Parlement panafricain a initié en 2008 le processus de révision par l'organisation de plusieurs réunions, ateliers et débats en plénière sur les amendements nécessaires à apporter à ce Protocole. En 2009, le Sommet de l'Union africaine donne le feu vert pour approfondir ce processus et désigner un consultant ou un expert pour mener cette mission en coordination bien sûr avec le Parlement, la Commission de l'Union africaine et le Comité des Représentants permanents (Ambassadeurs des Etats membres de l'UA). Plusieurs séances de travail, réunions et ateliers ont été organisés par la suite conduisant à la formulation de quelques amendements dont la teneur énonçait avec précision que les nouvelles prérogatives n'entament en rien la souveraineté nationale et ne se substituent nullement aux organes législatifs nationaux ; ces nouvelles attributions ou fonctions ne peuvent être exercées que sur saisine de la Conférence qui est l'organe suprême de l'Union africaine laquelle doit ensuite entériner ou rejeter le travail que lui soumettra le Parlement panafricain. Ce nouveau texte a été soumis aux experts gouvernementaux qui sont les représentants des ministères de la Justice des pays membres de l'UA pour examen et approbation. C'était la dernière étape avant sa soumission aux organes compétents de l'UA et enfin son adoption par le Sommet tel que stipulé plus haut. Les amendements introduits au Protocole et approuvés par le Sommet de l'UA portent essentiellement sur : L'augmentation du nombre de femmes parmi la délégation représentant chaque Parlement national au Parlement panafricain ; le paragraphe 3 de l'article 4 énonce ce qui suit : «Au moins deux (2) des membres élus doivent être femmes. La délégation qui ne répond pas à cette condition n'aura pas le droit d'être accréditée pour représentation au Parlement.». Par conséquent les prochaines élections, une fois le Protocole révisé est ratifié et entré en vigueur, donneront lieu à la présence au Parlement panafricain d'un nombre beaucoup plus important de femmes parlementaires ; L'examen par le Parlement panafricain du projet de budget de la Communauté africaine qui devient une obligation et non plus une possibilité comme c'était prescrit dans le Protocole initial ; En attendant l'élaboration d'un code des élections au suffrage universel direct, les élections des membres du Parlement panafricain par les parlements nationaux ou par les autres organes délibérants doivent avoir lieu, si possible, au cours du même mois dans tous les Etats membres de l'Union africaine tel que décidé par la Conférence (alinéa c du paragraphe 1er de l'article 5). A mon avis, cette mesure a pour objectif d'éviter dans l'avenir au Parlement panafricain de revivre les situations de renouvellement partiel qui intervenait à chaque session où l'on enregistrait pas moins de 20 nouveaux membres rejoignant le Parlement continental. Chaque année, le Parlement était renouvelé à un taux de presque 25% de sa composante, situation donnant lieu à des cérémonies de prestation de serment continuelles, à des vacances de postes récurrentes et à des élections internes répétitives. Le mandat d'un membre du Parlement panafricain est de cinq (5) ans. Il ou elle est rééligible une (1) fois seulement pour un autre mandat. Là, je pense que cette limitation à deux mandats maximum n'est pas du tout appropriée, car au moment où beaucoup de membres acquièrent une expérience continentale et une meilleure connaissance des règles de travail au Parlement panafricain, des défis et des problèmes du continent, on viendrait leur interdire de poursuivre leur mission et de servir leur continent. L'espoir des membres du Parlement panafricain est de voir la ratification du Protocole révisé se concrétiser rapidement pour pouvoir contribuer aux différentes actions et programmes arrêtés par l'Union africaine pour réaliser l'objectif de l'intégration du continent. Pour ce faire, le pouvoir exécutif de chaque pays membre de l'UA a la charge d'accélérer ce processus de ratification et permettre au nouveau texte du Protocole d'entrer en vigueur. Il appartient ici au Parlement panafricain de mener une campagne de sensibilisation en vue de se rendre visible sur le continent, d'expliquer ses missions et son rôle et d'interpeller les pouvoirs exécutifs sur la nécessaire ratification accélérée du texte. Au sujet de visibilité, il importe de rappeler que dans une des résolutions du Sommet de l'UA, il a été demandé au Parlement panafricain d'entreprendre des actions susceptibles de le rendre visible sur le continent. Reste maintenant à définir les modalités et formes de cette action pour atteindre l'objectif de visibilité. A mon avis, cet objectif peut être atteint grâce aux actions suivantes : A la fin de chaque Sommet de l'Union africaine (elle en tient deux ordinaires annuellement), le pouvoir exécutif ou son représentant devrait organiser une conférence ou un point de presse pour rendre compte de la participation de la délégation du pays, les thèmes abordés, les décisions adoptées, les défis ou problèmes rencontrés etc. Ainsi, le Parlement panafricain est mis en exergue si une quelconque décision le concernant a été prise lors du Sommet de l'Union africaine et du coup le citoyen est informé et prend connaissance de l'existence d'une telle Institution continentale ; Chaque pays membre de l'UA est représenté par cinq (5) parlementaires tel qu'énoncé plus haut ; ces parlementaires devraient, au retour de chaque session du Parlement panafricain, interagir avec la presse nationale pour informer le citoyen des résultats des travaux et des résolutions ou décisions prises ; Chaque Parlement national est appelé à organiser des séances spéciales au cours desquelles les membres du Parlement panafricain rendraient compte et présenteraient des rapports sur leur participation aux sessions du Parlement panafricain ; Chaque Parlement national devrait mettre en place un service ou un point focal qui assurerait la relation avec le Parlement panafricain et se chargerait, en collaboration avec ce dernier, de disséminer les informations sur l'Institution continentale ; informer le public sur ses activités, organiser des portes ouvertes au profit des écoliers, lycéens, étudiants et citoyens pour rendre visible ce Parlement continental ; Le Parlement panafricain devrait également saisir les pays membres pour accueillir sur leur sol la tenue de ses sessions, réunions de commissions, ateliers et séminaires, disposition qui existe dans le Protocole et une fois réalisée à grande échelle, elle contribuerait sans aucun doute à faire mieux connaître ce Parlement. En Algérie, deux séminaires et une journée parlementaire sur le Parlement continental ont été tenus en 2007 et 2008 par les Commissions permanentes de l'Agriculture et des Transports alors présidées par deux parlementaires algériens ; L'organisation de journées parlementaires sur le Parlement panafricain, voire sur l'Union africaine, constituerait une bonne occasion de sensibilisation et de visibilité pour cette organisation continentale et ses organes. L'on relève que beaucoup de journées parlementaires ont été organisées à l'Assemblée nationale ces dernières années, et c'est là une occasion pour les parlementaires algériens membres du Parlement panafricain d'envisager la tenue d'une telle manifestation sur l'institution continentale ; cette recommandation est valable pour tous les Parlements nationaux membres du Parlement panafricain ; Les membres du Parlement panafricain devraient, dans leurs pays respectifs, se rapprocher des universités, notamment les facultés de sciences politiques, journalisme, droit, écoles nationales d'administration, instituts des études diplomatiques etc. pour y organiser des conférences et débats sur le Parlement panafricain ; L'Union africaine devrait saisir l'opportunité des missions d'observation des élections en Afrique pour se rendre visible et permettre du coup au Parlement panafricain de se faire connaître. A titre d'exemple, confier au Parlement panafricain la présidence d'une délégation de l'Union africaine chargée de la mission d'observation des élections contribuerait grandement à sa visibilité ; L'Union africaine devrait également accroître la participation des représentants du Parlement panafricain aux missions de paix et de règlement des conflits en Afrique ; Le Parlement panafricain devrait tracer un programme de séminaires à organiser dans chacune des cinq régions africaines pour informer les citoyens et la société civile et sensibiliser les autorités en place sur l'indispensable urgence de la ratification du Protocole révisé ; On aurait souhaité que l'Union africaine fixe une date-butoir pour cette ratification et éviter de la laisser ouverte au risque que ça traine des années et des années, ce qui va bloquer l'activité du Parlement panafricain, car en vertu de cette ratification, le rôle du Parlement continental prendra de l'ampleur et contribuera de manière active et efficace à la réalisation des objectifs de la communauté africaine ; Ce sont là quelques suggestions et recommandations que nous jugeons nécessaires aux efforts de visibilité du Parlement et de la ratification de son Protocole révisé. Mais le défi majeur que doivent relever les Etats membres consiste à élaborer un code des élections des membres du Parlement panafricain au suffrage universel. En attendant ce code, le Protocole révisé recommande aux Parlements nationaux d'organiser les élections de leurs représentants au Parlement panafricain durant le même mois si possible ; l'objectif étant d'éviter le renouvellement partiel qui s'opère annuellement. Hélas, cette recommandation ne peut être mise en application en raison de la non-tenue des élections législatives dans les Etats membres en même temps ou durant la même année et en règle générale, les représentants des Parlements nationaux au Parlement panafricain sont élus ou désignés durant les six premiers mois qui suivent l'installation du nouveau Parlement national ou le début de la nouvelle législature. Par conséquent, le PAP continuerait à vivre le renouvellement partiel et seule l'élection des parlementaires membres du Parlement panafricain au suffrage universel est à même de régler définitivement cette situation de renouvellement partiel et lui permettre de fonctionner avec une même composante pour une durée de législature. L'autre défi à relever consiste en la stabilité, la sécurité et la paix dans le continent africain qui, après presque un demi-siècle d'indépendance pour la majorité de ses Etats, demeure rongé par quelques conflits dus essentiellement à l'absence d'une vraie démocratie, d'une bonne gouvernance, d'élections libres et transparentes. Et pourtant, l'Union africaine dispose d'une Charte sur la démocratie, la gouvernance et les élections signée par les Chefs d'Etat et de gouvernement et entrée en vigueur en 2013. Dans ce cadre bien précis, le Parlement panafricain détient le mérite d'avoir grandement contribué à sensibiliser les pouvoirs nationaux sur la nécessité de ratifier cette Charte pour qu'elle puisse être mise en application. C'est ainsi que des séminaires régionaux ont été initiés par le Parlement panafricain en 2010 avec objectif de recueillir les onze ratifications qui manquaient ; cette campagne avait pour devise «eleven before twenty eleven» «onze avant deux mille onze». Il y a lieu de signaler que le Parlement panafricain a été soutenu dans son action par plusieurs partenaires dont notamment GIZ (l'Agence allemande pour le développement) et AWEPA (l'Association des parlementaires de l'Europe occidentale pour l'Afrique) lesquelles apportent leur assistance au Parlement panafricain depuis 2005 à ce jour. Mais malgré l'entrée en vigueur de cette Charte, il est regrettable d'observer que les conflits persistent encore. Je suis convaincu que le Parlement panafricain est en mesure de jouer un grand rôle dans la sensibilisation de la société civile et des pouvoirs publics quant à l'importance de la stabilité et de la paix, deux éléments clés et indispensables à la réalisation du développement du continent et de son intégration. Il suffirait de ratifier le Protocole révisé afin de permettre au Parlement panafricain d'exercer les prérogatives que lui confère ledit Protocole ; le paragraphe 3 de l'article 8 l'autorise à mener des missions d'information et d'enquête et c'est là une importante disposition que le Parlement panafricain devrait exploiter pour contribuer activement et efficacement à la réalisation de la paix et de la stabilité. Pour ce faire, des moyens humains et financiers conséquents sont à mettre à la disposition du Parlement continental pour pouvoir mener de manière convenable la mission qui est la sienne et permettre à son Président de rendre compte des résultats et des recommandations directement à la Conférence de l'UA. S'agissant des lois-types que le Parlement panafricain est appelé à élaborer, je pense qu'il existe beaucoup de domaines où sa contribution serait très utile. Les questions liées à l'environnement, au changement climatique, au mouvement des personnes et des marchandises, à la promotion du commerce intra-africain, à l'élimination de la pauvreté et des maladies, à la lutte contre le terrorisme, la corruption et l'immigration clandestine constituent à mon avis des domaines sur lesquels le Parlement panafricain devrait travailler pour dégager des directives ou lois-types au service de l'Afrique.