Les propos tenus mardi par le pape Benoît XVI à Berlin, au cours d'une conférence sur la « foi et la raison » établissant un lien de causalité entre Islam et violence, ont provoqué une levée de boucliers dans les pays musulmans. La publication, hier, d'un communiqué officiel du Vatican, dans lequel le Saint-Siège tente de rattraper la bourde du pape, en précisant que les déclarations du pape ont été déformées et qu'il n'était nullement dans l'intention du chef de l'Eglise catholique d'offenser les musulmans, n'a pas contribué à apaiser les esprits dans certaines capitales musulmanes. Les propos du pape ont été perçus comme le signal de nouvelles croisades contre les musulmans. Tout en dénonçant avec fermeté les propos du pape et en demandant des excuses officielles du Vatican, des représentants influents d'organisations islamiques de par le monde ont appelé les musulmans au calme et à la retenue. Cette affaire rappelle par certains de ses aspects la vive polémique née autour des caricatures du Prophète, laquelle avait failli plonger l'humanité dans une nouvelle guerre de religions aux conséquences incalculables. Les retombées de cette affaire sur le difficile processus de dialogue entre les civilisations et les religions, engagé par des hommes de bonne foi de toutes confessions, se font aujourd'hui encore douloureusement sentir. Les déclarations du pape risquent, à l'évidence, de remettre en cause le climat de confiance et la volonté de dialogue exprimés par les représentants des différentes religions dans le cadre du dialogue interreligieux. Un pari qui paraît de plus en plus insensé au regard de la multiplication des attaques dont l'Islam est l'objet depuis particulièrement ces derniers mois, avec la bénédiction de l'Eglise elle-même, quand ce n'est pas cette dernière qui dirige la croisade contre l'Islam. Certains penseurs et hommes politiques musulmans qui se sont exprimés sur les déclarations du pape ont tenté de relativiser les propos de Benoît XVI par souci diplomatique ou pour ne pas jeter de l'huile sur le feu en demander au Vatican des « clarifications ». D'autres voix ont riposté aux propos du pape, en attaquant ce dernier sur le plan académique et des connaissances de la religion musulmane, l'accusant carrément d'ignorer la profondeur du message coranique. Bien évidemment, le raccourci est un peu trop facile, car on a peine à croire lorsque l'on est porté à la tête d'une institution comme le Vatican que le titulaire de ce poste n'a pas une connaissance parfaite de sa propre religion d'abord et des autres religions ensuite. Les motivations qui pourraient alors expliquer la sortie, le nouveau testament du pape ne sont-elles pas plutôt à rechercher ailleurs que dans les accusations à l'emporte-pièce qui tendent à dédouaner le pape en lui trouvant des circonstances atténouantes ? Le pape n'est atteint ni de sénilité pas plus qu'il ne pèche par ignorance de la chose religieuse pour ne pas mesurer la portée des propos qu'il vient de tenir sur l'Islam et les conséquences qui pourraient en découler sur le difficile dialogue interreligieux qui s'est amorcé depuis ces dernières années et particulièrement entre le christianisme et l'Islam. Il est clair que le pape avait un message à faire passer. Il l'a fait en toute lucidité en choisissant le moment (au lendemain de la commémoration des attentats du 11 septembre), le lieu (son pays natal où il ne pouvait pas ne pas être écouté) et enfin les armes non conventionnelles pour s'en prendre à l'Islam en entretenant sciemment l'amalgame entre Islam et terrorisme. Le tout est de savoir si le pape a le soutien du Vatican. Et il y a tout lieu de croire que c'est bien le cas. Car connaissant la sensibilité du sujet, nul n'a le droit, a fortiori lorsque l'on préside aux destinées d'une institution comme l'Eglise, de s'autoriser à violer la foi et l'identité des autres religions. Le communiqué publié par le service de presse du Saint-Siège suite aux protestations soulevées par les déclarations du pape ne fournit aucune indication qui pourrait incliner à penser que le Vatican prend ses distances par rapport aux déclarations du souverain pontife. Jouissant d'un pouvoir de droit divin, le pape reste le pape. Sa personne demeure inattaquable même s'il prend le grave risque d'emprunter un chemin diamétralement opposé de celui de son prédécesseur, le pape Jean Paul II, dont la disparition avait été pleurée aussi bien par les siens que par les musulmans.