Le souverain pontife le pape Benoît XVI a entamé hier une visite très controversée en Turquie. Annoncé bien avant les propos sur l'Islam tenus en septembre dernier à Berlin, propos qui avaient soulevé un vent de colère dans certaines capitales musulmanes, le périple du pape dans ce pays laïque, majoritairement musulman, semblait avoir été sérieusement compromis suite au faux pas de Benoît XVI. D'ailleurs, les hauts dignitaires musulmans turcs n'ont pas manqué, en ce temps-là, au plus fort de la crise créée par cet incident, de le faire savoir au chef de l'Eglise catholique en lui signifiant clairement qu'il était indésirable dans leur pays. Cette position des autorités religieuses turques relayées par le gouvernement d'Ankara d'obédience islamiste avait été perçue alors comme un geste courageux de la part des autorités turques au regard des conséquences qu'elle pouvait fatalement induire sur les perspectives de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Les difficultés pour ne pas dire les obstacles qui se dressent devant la Turquie pour décrocher son ticket d'adhésion à l'UE dont son appartenance à la civilisation musulmane n'est pas des moindres sont déjà difficilement surmontables pour qu'Ankara se permette le luxe de défier ses partenaires européens sur ce terrain religieux où ses adversaires dans l'Union l'attendent de pied ferme pour le disqualifier et montrer à ceux qui ne partagent pas leurs inquiétudes et réserves le fossé civilisationnel qui les sépare de la Turquie. Et par conséquent, l'incapacité congénitale de ce pays à s'intégrer dans l'ensemble européen. C'était compter sans le pragmatisme des autorités turques, politiques et religieuses, qui ont choisi la voie de la raison et de l'intérêt supérieur de la nation aux gesticulations sans lendemain qui font le bonheur des milieux extrémistes mais certainement pas celui du peuple turc qui est confronté à d'autres défis, existentiels ceux-là. La Turquie a en effet envoyé hier un message fort à ses partenaires européens en donnant du pays et de ses institutions l'image d'un Etat fort de son système politique fondé sur la laïcité ; une laïcité brandie comme la meilleure preuve de sa maturité et de son aptitude sociétale à intégrer l'UE. Et pour mieux faire passer encore ce message politique avant tout, c'est le premier ministre islamiste turc M. Tayyip Erdogan, en personne, qui a tenu à accueillir officiellement le pape Benoît XVI à son arrivée à l'aéroport d'Ankara. Le souverain pontife a été accueilli avec tous les égards et le protocole dus à un chef d'Etat. Les rues empruntées par le cortège officiel sont pavoisées aux couleurs de la Turquie et du Vatican. Et dans l'agenda du souverain pontife est prévue une entrevue avec le président turc à côté, bien évidemment, des rencontres avec les représentants de l'Eglise orthodoxe et des dignitaires musulmans turcs. Avec cette visite à laquelle beaucoup ne croyaient pas après la sortie médiatique de Benoît XVI à Berlin, la Turquie vient de réussir le grand écart marquant des points précieux dans ses négociations difficiles avec l'UE pour son entrée dans cet ensemble. Le pape qui avait exprimé son opposition à l'entrée de la Turquie dans l'UE du fait de son identité musulmane vient d'une certaine manière demander repentance à la Turquie en entamant ce voyage dans ce pays. Et à travers la Turquie demander pardon à la communauté musulmane pour les propos tenus par le pape à Berlin.