La scène s'ouvre sur une pièce au décor austère, avec de vieux tapis accrochés au mur. Une ambiance de misère pour une famille vivant la dure période de l'entre-deux-guerres mondiales. La pauvreté, la faim et les épidémies ont presque décimé des douars entiers. Face à un colonialisme féroce et sauvage, les Algériens, chassés de leurs terres et privés de leurs richesses, font tout pour survivre. Ils résistent et continuent d'espérer voir la délivrance un jour. Malgré tout, la vie avait aussi ses joies et ses fêtes. Dans une région de cette Algérie qui résiste, celle de Béni Barber à Souk Ahras, est née une voix forte et tendre. La jeune Hadda «El Khancha» (qui nasille) impressionne même des grands poètes et chanteurs populaires. Elle est dotée aussi d'une intelligence remarquable et d'une mémoire infaillible. Mais, il lui est interdit de chanter. Une question de traditions dans une société patriarcale régie par des règles à ne pas transgresser. Mais le destin en décidera autrement. Lors d'une fête de mariage, Hadda chante en privé. Sa voix parviendra à celui qui sera son époux, et qui n'est autre que Brahim Bendebbache, l'un des grands guessab (flûtiste) de son époque. Celui-là même qui animait les fêtes en compagnie du fameux Cheikh Bouregaâ. Epris de Hadda, Brahim décide de l'épouser. Hadda décide de continuer à chanter, mais en public cette fois-ci. Premières réticences. Premières oppositions. Tenace, Hadda ne lâche pas. Elle parviendra à convaincre son mari. Elle portera la m'laya qui ne la quittera plus. C'est le début d'une légende. Le couple Beggar Hadda-Brahim Bendebbache défraie la chronique. Inséparables, ils font la joie et le bonheur là ils vont. Les années de la Révolution seront témoins de l'engagement infaillible du couple et de sa famille. Les années de l'indépendance seront les plus belles. Mais la mort en décidera autrement. Après les belles années qu'ils ont vécues ensemble, Hadda perdra celui qui était son soutien dans la vie, son amour éternel. Elle ne s'en remettra plus jusqu'à ses derniers jours. Basée sur un texte de Djalel Khechab, et mise en scène par Sonia et Hebal El Boukhari, la dernière production du théâtre régional Azzedine Medjoubi d'Annaba a attiré un public connaisseur et intéressé lors de sa présentation, jeudi et vendredi derniers, sur la scène du théâtre régional de Constantine. Programmée par le département théâtre dans le cadre de l'événement culturel de 2015, la pièce a réussi à faire rappeler la belle époque qui a vu émerger la grande Beggar Hadda, l'un des monuments de la chanson algérienne, brillante interprète du chant traditionnel de l'Est algérien des années 1940-1970, reléguée malheureusement aux oubliettes et ignorée par les médias. La pièce, brillamment mise en scène et riche en émotions, a révélé le talent indiscutable de Lydia Laârini, aux côtés de Babas Zakaria, ayant campé le rôle de Bendebbache. Sans tomber dans la narration classique, l'œuvre, qui a tenté de montrer des facettes de la vie de Beggar Hadda selon une vision théâtrale, n'est qu'une juste reconnaissance pour une grande dame, une militante de l'art qui a défié une société patriarcale, car elle croyait dur comme fer en sa noble mission d'artiste.