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L'empreinte de Zighoud Youcef
60e anniversaire du 20 août 1955
Publié dans El Watan le 20 - 08 - 2015

La Zone 2, qu'on appellera Wilaya comme ses cinq homologues, après le Congrès de la Soummam du 20 août 1956, est née dans un maelström qui diffère de celui qui a accompagné la partance des autres zones.
Ce départ sur le pied gauche expliquera en partie l'évolution puis le cours de l'histoire de la Wilaya II. En partie seulement, car l'autre est incontestablement due à l'exceptionnelle personnalité de Zighoud Youcef, qui l'estampillera de son empreinte jusqu'à en incarner l'âme et le souffle.
Ceci ne sera pas particulier pour la Wilaya II puisque Ben Boulaïd l'aura été pour la Wilaya I, Amirouche pour la III, Si M'hamed pour la IV, Boussouf pour la V et Si El Haouès pour la VI.
Ce qui est certain, on ne peut dissocier la conflagration du 20 août 1955 de ce personnage, qu'un journaliste de l'époque a appelé «le chevalier du Constantinois».
Pour revenir au démarrage de la WII, il faut sans doute tourner bride jusqu'à la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale. En effet, alors que l'objectif avait été verrouillé, la stratégie définie, les rôles distribués, brusquement intervient un changement de dernière minute qui a modifié le casting du commandement.
La responsabilité de la Zone 2 (Nord-Constantinois) avait été confiée, initialement, à Rabah Bitat, et celle la Zone 4 (Centre) à Didouche Mourad. Pour des raisons non élucidées clairement jusqu'ici, les deux membres du groupe des cinq (puis des six avec l'entrée de Krim Belkacem) vont permuter leurs zones d'affectation.
Ils avaient été désignés pour la phase de mise en œuvre de l'action armée, par les 22 du Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA), réunis le 23 juin 1954 à La Redoute (El Madania).
Aguerris par plusieurs années de militantisme actif et rompus aux rigueurs et à l'intransigeance de la clandestinité, ces patriotes, tous deux issus de l'Organisation spéciale (OS), pouvaient effectivement s'intervertir si l'on considère leur fonction d'un point de vue doctrinal.
Mais sur le terrain, les choses allaient autrement. Didouche ne connaissait pas les militants de cette zone et réciproquement, en dehors des cadres bien entendu.
Dans des moments aussi cruciaux, le facteur confiance s'individualise. En d'autres termes, le PPA-MTLD s'était effrité et avec lui les liens organiques qui pouvaient suppléer aux accordances personnelles. «Tu comptes sur moi, je compte sur toi», était et demeure l'équation d'usage au moment de l'assaut. La loi du «coude-à-coude».
Selon des sources sérieuses, la solution aura été de procéder à un autre transfert, celui de Lakhdar Bentobbal, qui connaissait cette zone, dirions-nous, mieux que quiconque pour y avoir milité toute sa jeunesse durant.
De plus, l'avantage que présentait le jeune Milévien était qu'il connaissait Didouche Mourad dont il appréciait tout particulièrement l'intelligence. Mostefa Ben Boulaïd, chef de la WI à la demande du nouveau commandant du Nord-Constantinois, consentira, à regret, à se séparer de cet adjoint de valeur.
Il y a lieu de préciser que le premier adjoint de Didouche demeurait Badji Mokhtar et le second, forgeron de son état, un certain Zighoud Youcef.
Peu après ce rhume d'automne, vint le problème posé par ceux que les historiens ont désigné par «le groupe de Constantine». Certains militants avaient en effet contesté, en octobre, le déroulement de la réunion du CRUA et exigeaient comme condition à leur participation de nouvelles discussions avec d'autres responsables.
Malgré cette crise régionale et la rareté des armes, une trentaine pour le Constantinois et une douzaine pour la Zone II, le déclenchement eut lieu avec six djounoud à El Milia, 18 à Mila et une vingtaine sous les ordres de Zighoud.
La stratégie élaborée par Didouche était simple. Déclencher en même temps que toutes les autres zones puis refluer et attendre la réaction de l'occupant. Profiter de l'accalmie pour préparer le champ de bataille autrement dit les djebels et les zones rurales. Ce n'est qu'après la réunion prévue par les Six pour le début du mois de janvier 1955, qu'il envisagea de passer à l'offensive.
La mort prématurée, les armes à la main, de Badji Mokhtar, le 19 novembre 1954, non loin de Guelma, va permettre à Zighoud de surgir sur le devant de la scène. Une place qu'il occupera de toute sa taille après la mort au combat, le 18 janvier 1955 à Oued Boukerker, Condé-Smendou (Zighoud Youcef aujourd'hui), du premier chef de la Wilaya II.
En quatre mois, cette zone a connu des rebondissements importants qui auraient pu lui être fatals, mais qui, cependant, n'ont en rien altéré le mental du groupuscule natal. La WII le doit à ses cadres, dont la formation politique a servi de blindage.
«La mort de ce grand chef a été un coup très rude d'autant que c'était pratiquement au lendemain du déclenchement, témoignait pour El Watan, le défunt colonel Salah Boubnider.
La perte était immense. Il ne faut pas perdre de vue que c'était l'une des plus grandes figures de notre histoire. Benaouda, Bentobbal et Zighoud se sont réunis, et ont pris la décision de désigner Zighoud pour succéder à Didouche. Aucune opposition de notre part n'a été relevée... Ils ont établi un nouveau programme et nous avons poursuivi le combat.»
Pour Lamine Khène, officier de la Wilaya II et ancien secrétaire d'Etat du GPRA, le nouveau commandant de la WII est «un personnage extraordinaire.
Un génie politique et militaire. J'ai eu l'occasion d'animer des conférences à son sujet, j'aimais dire à mon auditoire que je commence toujours par la fin quand il s'agit de ce héros de la guerre de Libération nationale. Je rappelle toujours ‘‘que le monsieur dont je vais parler, qui est pour moi un génie politique et militaire, est mort à l'âge de 35 ans''».
C'est sous son autorité que le conseil de la Wilaya préparera le 20 Août 1955. Jacques Duchemin, journaliste au quotidien parisien L'Aurore, écrivait à son propos : «Ce loup maigre et sec qu'était Zighoud» était néanmoins «fort comme un bœuf, moustachu, bourru, père d'une petite fille qu'il adorait, il avait décidé de faire la guerre aux Français sans commettre pour autant des exactions. Il n'aimait pas tuer des civils ni achever des prisonniers».
De son côté, le Dr Mahfoud Bennoune, anthropologue, professeur, chercheur, militant et humaniste, lui aussi ancien officier de la Wilaya II qui est resté, après l'indépendance, engagé dans le combat pour la démocratie, décédé en 2004, estimait qu'il était «un homme réfléchi, intelligent, sérieux, profondément engagé pour la cause nationale, bien organisé et surtout d'une extrême modestie».
Ceux qui ont côtoyé cet officier, qu'ils décrivent comme un djoundi intrépide, attestent que bien qu'homme d'autorité, il prenait en considération l'opinion de ses collaborateurs et subordonnés et qu'il ne «se soustrayait à aucune tâche», pas même les plus ingrates, comme par exemple, écrit encore le défunt professeur Bennoune, prendre son tour de garde, «préférant l'aurore, l'heure la plus dangereuse en cas d'attaque».
C'est à Zamane, fin juin-début juillet, que Zighoud décide de réunir le conseil composé de tous les cadres que compte sa Wilaya.
Dans ses mémoires, Ali Kafi un de ses cadres, en fait le récit détaillé et les premiers arguments avancés sont d'ordre militaire. «La Zone 1 (Aurès-Nememchas), écrit-il, subissait un siège qui l'étranglait, l'ennemi ayant concentré sur elle toutes ses forces impressionnantes, jetant tout son poids pour tenter d'‘‘anéantir la Révolution'' dans ce solide bastion de la Révolution et des révolutionnaires.
Les moudjahidine étaient confrontés à la fois à la rigueur de la nature et aux assauts furieux de l'ennemi, renforcé par les unités de parachutistes et l'aviation parmi lesquels le 25e bataillon de parachutistes commandés par le colonel Ducourneau.
Sur ces entrefaites, nous avons reçu une lettre du commandement de la Zone 1 appelant Zighoud à son secours pour briser le siège qu'elle subissait.» Ces propos sont corroborés par le futur colonel Tahar Zbiri qui, dans ses mémoires, écrit : «Zighoud, commandant de la zone Nord-Constantinois, pensa à des attaques massives sur les garnisons ennemies. Il lui aurait fallu plus d'hommes et d'armes pour entreprendre des opérations de grande envergure.»
Il y a lieu de rappeler que la Zone 2 ne disposait, en tout et pour tout, que d'environ 300 djounoud dotés d'armes de guerre, neuf mois après le déclenchement.
Le colonel Zbiri poursuit : «Pour faire face au problème du manque d'hommes et d'armement dans la Zone 2, la Zone 1 y envoya des djounoud et des armes pour participer aux attaques du 20 Août 1955. Salah Boubnider qui est devenu par la suite le chef de la Wilaya II, ajoute l'auteur de ‘Mémoires du dernier chef historique des Aurès', m'a confirmé qu'il avait lui-même supervisé le transfert des moudjahidine des Aurès vers le Nord-Constantinois afin de consolider les attaques dans cette région.»
L'horreur s'ensuivra.
Comme en mai 1945, à Sétif, Guelma, Kherrata et bien d'autres villes et villages du pays, comme l'été dernier à Ghaza, en Palestine, ils ont appelé «ça» de la légitime défense. «Soustelle dit que 123 personnes ont été tuées par la populace poussée par le FLN, le 20 août, dont 71 étaient des Européens, tandis que 1273 rebelles avaient péri, les deux tiers durant l'attaque elle-même. Il admet cependant que ‘nos représailles furent sévères'», écrit Alistair Horne.
Tirant les conclusions de cette offensive généralisée qui n'avait épargné aucun lieu de la Zone 2, Zighoud déclarera que cette opération tire son importance de la participation populaire, des patriotes algériens, et non des «bandits coupeurs de route qui s'intégraient à l'ALN et soutenaient le FLN, comme les présentait la propagande française».
L'historien Mahfoud Kaddache écrira : «Les succès étaient nombreux aussi bien sur le plan militaire que sur le plan politique. Les Aurès étaient soulagées par pratiquement un second front.»
La Révolution se manifestait dans des régions considérées «pacifiées». Des opérations étaient lancées dans les environs de Tlemcen, dans le département d'Alger et dans le Sud.
Des personnalités algériennes ne crurent plus possible une quelconque troisième force, des élus musulmans votèrent la motion des 61 dénonçant la répression aveugle, jugeant la politique de l'intégration dépassée et déclarant «la majorité du peuple algérien acquise à l'idée nationale». Un grand nombre d'entre eux démissionnèrent, les objectifs du FLN apparaissant les seuls crédibles.
12 000 morts ! Un Algérien, plus un Algérien, plus un Algérien, plus un Algérien... et ceci 12 000 fois ! Quel est le nom de chacun, leur âge, leur métier s'ils en avaient un ? On ne le saura jamais. Ce que nous savons, en revanche, c'est qu'ils avaient tous une cause la plus sacrée d'entre toutes et surtout une passion : ce pays.

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Sources
- Charles-Henri Favrod. La Révolution algérienne (Plon. Paris 1959)
- Frantz Fanon. Les Damnés de la terre (ANEP. Alger 2006)
- Mahfoud Kaddache. Et l'Algérie se libéra 1954-1962 ( EDIF 2000. Alger 2003)
- Tahar Zbiri. Mémoires du dernier chef historique des Aurès (ANEP. Alger. 2010)
- Jacques Duchemin. Histoire du FLN (La Table ronde. Paris 1962)
- Alistair Horne. Histoire de la guerre d'Algérie (Albin Michel. Paris 1980)
- Interview de Lamine Khène (El Watan, numéro spécial 1er novembre 2004)
- Interview de Salah Boubnider (El Watan n°4124 du 17 juin 2004)
- Mahfoud Bennoune (El Watan des 23 au 26 août 1998)


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