Il s'appelait Aylan Kurdi, il avait 3 ans et était Syrien. Son corps a été ramené par les vagues sur une plage turque. Avant, celui de sa jeune mère y avait échoué. Cette dernière voulait sans doute lui offrir une vie meilleure, le sauver des bombardements de Bachar Al Assad. Tout deux ont trouvé la mort, à quelques milles de leur départ. La famille fuyait la ville-frontière de Kobané, en Syrie. Vêtu d'un tee-shirt rouge et d'un short bleu, l'enfant gisait, le visage contre le sable d'une plage de Turquie. Selon les gardes-côtes turcs, il a perdu la vie dans un naufrage qui a eu lieu mercredi. L'embarcation dans laquelle se trouvaient douze réfugiés syriens, dont ce petit garçon et son frère de 5 ans, était partie de la ville côtière de Bodrum et devait rejoindre l'île grecque de Kos (l'un des plus courts passages maritimes entre la Turquie et l'Europe) lorsqu'elle a chaviré. Les sauveteurs ont été prévenus par les cris des naufragés. Malgré leur intervention rapide, ils n'ont pu que repêcher des corps inanimés. Les photos de ce repêchage ont rapidement envahi les réseaux sociaux. La photo de l'enfant a fait le tour du monde. Cette image a fait aussi la une d'une partie de la presse européenne, hier. Elle résume, en effet, toute l'horreur du drame humain qui se déroule à la frontière européenne. Hier encore, la commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie a dénoncé l'échec de la communauté internationale à protéger les réfugiés syriens et appelé à ne pas refouler ceux d'entre eux qui affluent en Europe. Non-refoulement Dans son dernier rapport publié hier, la commission note que l'afflux de réfugiés a provoqué, par le passé, des tensions dans les pays voisins de la Syrie, notamment la Jordanie, le Liban et la Turquie, mais que «l'échec à protéger les réfugiés syriens se transforme aujourd'hui en crise dans le sud de l'Europe». Les quatre membres de la commission d'enquête de l'ONU sur les violations des droits de l'homme en Syrie, mandatés par le Conseil des droits de l'homme, n'ont jamais eu le feu vert de Damas pour entrer en Syrie, mais ils ont recueilli des milliers de témoignages de victimes, de documents et de photos satellites. La commission demande aux pays de respecter le «principe de non-refoulement», conformément à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, et de ne pas expulser les Syriens puisqu'ils ont le droit d'être reconnus comme réfugiés selon l'ONU. Plus de 4 millions de Syriens ont fui leur pays, qui compte au moins 7,6 millions de déplacés. Une grande majorité des réfugiés syriens se trouvent toujours dans les pays de la région, mais ils sont de plus en plus nombreux, ces derniers mois, à venir en Europe, à leurs risques et périls, en recourant à des réseaux de passeurs. Quelque 90 000 syriens sont ainsi arrivés en Grèce entre janvier et juillet, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Mais ce périple n'est pas sans danger. Plus de 2000 Syriens ont péri en mer depuis le début du conflit en mars 2011, selon le rapport des enquêteurs de l'ONU. La Commission demande aux pays d'accueil de «créer davantage de moyens légaux» pour garantir une meilleure protection des réfugiés syriens, à travers notamment la pratique de la réunification familiale, une politique d'attribution de visas plus flexible et une meilleure répartition des demandeurs d'asile. «Il est impératif d'avoir une véritable coopération internationale et un réel partage du fardeau pour répondre à la crise humanitaire», écrivent les enquêteurs de l'ONU. De son côté, le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, a estimé hier que l'Union européenne ne peut pas se contenter de «s'émouvoir devant des images qui serrent le cœur et secouent l'âme». Passeurs «L'Europe ne peut pas seulement s'émouvoir, elle doit aussi se bouger», a déclaré M. Renzi lors d'une conférence de presse. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a accusé hier les pays européens d'avoir transformé la Méditerranée en «cimetière de migrants». «Les pays européens qui ont transformé la Méditerranée en un cimetière de migrants partagent la responsabilité de chaque réfugié mort», a déclaré M. Erdogan à Ankara. Hier, la police turque a interpellé quatre passeurs présumés de nationalité syrienne. Ces quatre personnes ont été arrêtées dans la station balnéaire turque de Bodrum, d'où étaient partis les deux bateaux qui ont coulé alors qu'ils se dirigeaient vers l'île grecque de Kos, a précisé l'agence de presse Dogan. «Quand je l'ai vu, je suis restée figée, glacée. Il n'y avait malheureusement plus rien à faire pour cet enfant. J'ai fait mon métier. Nous nous baladons régulièrement sur ces plages depuis quelques mois. Mais hier, c'était différent. Nous avons d'abord vu le corps inanimé du plus petit garçon, puis celui de son frère aîné. En les photographiant, j'ai simplement voulu refléter le drame de ces gens», a témoigné la photographe de l'agence de presse privée Dogan, Nilüfer Demir, sur la chaîne d'information CNN-Türk. n