- Votre intervention concerne le mandat sanitaire. De quoi s'agit-il au juste ? Le mandat sanitaire, c'est la privatisation des services vétérinaires publics. La démarche est par ailleurs incluse dans les accords que l'Algérie est en train de négocier avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'Office international de l'épizootie (OIE), devenu organisation internationale de la santé animale sans pour autant changer de sigle est partie prenante. On a eu la première libéralisation en 2003, mais les aspects cités plus haut nous ont été cachés. Théoriquement, l'Etat exige que les privés fassent les mêmes tâches que celles qu'assure le secteur public parce que les gouvernements ne peuvent plus débloquer des budgets pour employer suffisamment de vétérinaires. Cela concerne l'habilitation, la dérogation et la sous-traitance. En Algérie, le mandat sanitaire, version Rachid Bouguedour, ex-Directeur des services vétérinaires (DSV) en poste en 2003, était et reste limité à la sous-traitance. Ils nous ont obligés à assurer une campagne de vaccination, mais on n'a négocié ni le prix ni les modalités de payement. Par principe, moi je n'ai jamais mandaté. Des vétérinaires se déplacent chez des éleveurs pour traiter leur cheptel à seulement 10 DA la tête et ne seront payés que trois ans après. C'est vraiment inconcevable et c'est pour cela que j'ai refusé. - Que revendiquez-vous ? Nous avons demandé un minimum, celui de négocier les modalités d'octroi de ce mandat sanitaire. Nous avons opté pour le secteur privé, nous sommes sur le terrain. L'Etat n'a plus les effectifs nécessaires pour couvrir les besoins. A Sétif, nous sommes 300 libéraux pour seulement 75 publics. Ces derniers ne peuvent pas assumer toutes les charges. Il faut que le mandat sanitaire soit réétudié, avec la possibilité de nous octroyer plus de charges. Parce qu'il y va de la santé publique. Si nous constatons la recrudescence de la tuberculose, de la brucellose, c'est parce que les employés de la Fonction publique ne peuvent plus à eux seuls assumer le dépistage. - Lors de cette rencontre, les officiels ont évoqué un manque de confiance entre l'Autorité publique et les praticiens ; qu'en est-il pour vous ? Ce sont de faux-fuyants pour la simple raison que nous n'avons jamais discuté. Si c'était le cas, on nous aurait écouté car c'est nous qui sommes sur le terrain et nous avons beaucoup de choses à dire. Le problème ne se situe pas dans l'opposition public/privé parce que nous reconnaissons que les trafics et les spéculations en tout genre se situent des deux côtés. Nous demandons à ce que l'Etat exige que les praticiens du secteur privé soient assermentés et qu'ils soient choisis selon des critères stricts. Malheureusement, nous constatons que le mandat sanitaire est octroyé par exemple à des gens de la dernière promotion qui n'ont aucune expérience. Quand on fournit des quantités de vaccin pour des praticiens qui ont zéro client, que va-t-il se passer ? Eh bien, il y aura forcément des spéculateurs qui vont venir acheter ce vaccin, d'où le marché parallèle, l'automédication, etc. - L'actuel DSV a annoncé l'organisation des assises en 2016. Cette initiative pourrait-elle constituer un début de dialogue effectif ? Les assises c'est une bonne chose. C'est l'initiative du nouveau ministre Ferroukhi qui veut prendre les choses en main. J'ai demandé à ce que le mandat sanitaire figure dans le programme de ces rencontres. Jusque-là, on a tout fait pour éviter de placer des dossiers prioritaires avant les autres car j'estime qu'il est prématuré de mettre en avant les questions de l'Ordre et de Code d'éthique parce que nous sommes encore loin du compte. C'est le mandat qui va organiser les choses à la base. - Qu'avez-vous contre ceux qui appellent à la mise en place d'un Conseil de l'ordre ? J'assume mes dires et j'affirme que les gens qui sont en train de courir pour le Conseil de l'Ordre, évidemment pas le DSV qui est sincère, soit ils courent pour des intérêts strictement personnels, soit ils ignorent ce qu'est un Conseil de l'ordre. Je demande l'ouverture des discussions à partir du mandat sanitaire parce que c'est quelque chose qui nous est imposé et qui est en rapport direct avec la réalité. En Algérie, les Conseils de l'ordre sont des conseils de désordre qui ne règlent absolument rien. Ils sont en train d'induire les gens en erreur. Je suis sur le terrain depuis 1991 et je sais que beaucoup pensent que le Conseil de l'Ordre va ouvrir des perspectives nouvelles et trouver des solutions aux problèmes actuels. C'est faux. Ce n'est pas dans les prérogatives de ce type d'instances. Nous œuvrons pour que le libéralisme se fasse sur la base de discussions et faire en sorte que cette option soit une conception et non un motif de vol et de spéculation. - De quelle manière s'opèrent à votre avis les trafics auxquels vous faites allusion ? Les gens se sont enrichis dans l'illégalité. J'ai posé une question qui a été évitée. Ce sont les importateurs qui ont boosté l'automédication. C'est le problème n°1. Je suis de la première vague des vétérinaires libéraux, mais je peux vous dire que les importateurs ramènent des quantités qui dépassent de loin les besoins du pays. C'est parfois pour surfacturer et effectuer des transferts illicites de devises. Si le pays a besoin de x millions de dollars de produits vétérinaires, on importe 3 fois plus. Ils ont besoin de déstocker et pour ce faire ils revendent à n'importe qui et, puisque les éleveurs veulent dépenser le moins possible, ils évitent les services du vétérinaire. - Quelles sont les conséquences de toutes ces malversations ? Après toutes ces années, allez voir la mortalité au sein des cheptels. Les éleveurs soignent eux-mêmes leurs bêtes, mais ils ne savent pas s'y prendre en utilisant des produits importés à moindre coût car manquant d'efficacité. Cette année, je peux vous dire que sur 100 têtes d'ovins nous n'avons que 20 agneaux. Voici les vrais problèmes. Nous allons perdre notre cheptel car notre brebis a zéro immunité. Il est donc temps d'agir.