Le retour au pays de l'ex-responsable de l'instance exécutive du FIS dissous à l'étranger, Rabah Kébir, aurait pu être un non-événement. Il aurait pu raser les travées de l'aéroport pour échapper aux regards forcément chagrinés des Algériens qui ont encore en mémoire ces lambeaux de chair humaine collés un peu partout lors du terrible attentat qui avait ciblé en 1994 l'aéroport international d'Alger, que Kébir et ses compagnons avaient parrainé politiquement. Aujourd'hui, les choses ont changé. Beaucoup de sang et de larmes ont coulé sous les ponts. Même l'aéroport Houari Boumediene n'est plus le même ; comme pour signifier la fin d'une époque. Et le traitement réservé à Rabah Kébir n'est pas non plus le même. Affublé de tous les quolibets ne seyant même pas à un animal, Rabah Kébir est à présent anobli par la magie de la réconciliation en ayant même droit à un accueil de VIP. Il a, certes, quitté l'aéroport par une porte dérobée, mais c'était pour éviter une nuée de reporters venus en masse immortaliser son « grand retour ». Quel fabuleux destin pour un homme qui a honteusement fuit son pays pour avoir contribué à le mettre à feu et à sang, pour revenir 15 années plus tard presque sous les fleurs et les youyous… Rabah Kébir a réussi là où ses amis « chouyoukh » ont lamentablement échoué : créer l'événement. Le fait est que, même la libération du duo Abassi Madani-Ali Benhadj, pourtant chefs historiques du Fis, n'a pas suscité autant d'intérêt, voire d'obséquiosité de la part de la presse. A croire qu'il y a quelque part un insondable calcul à imposer « l'exception Kébir » au regard de l'opinion publique pour en faire, probablement, un cheval de Troie dans cette quête laborieuse d'un succès politique à la réconciliation nationale faute de résultats concrets sur le terrain. L'ange et le démon Rabah Kébir, dont le retour en Algérie n'était suspendu à aucune pesanteur politique depuis l'adoption de la charte, pourrait donc servir de parfait trophée de guerre que le pouvoir pourra exhiber pour pallier l'échec cuisant de sa démarche de réconciliation. C'est une sorte d'ersatz de victoire politique que de brandir le retour de Kébir, moyennant les clauses que ce dernier a sans doute négocié pour accepter de servir de « gibier alibi ». Et en déclarant, hier, aux journalistes qu'il vise à terme la création d'un parti politique pour les jeunes (sic), l'ex-représentant du FIS à l'étranger lève un coin du voile sur le compromis qu'il a signé avec ses interlocuteurs. Il a tenu également à se démarquer subtilement des « ses ex- », Abassi et Benhadj, en laissant entendre qu'il va désormais militer avec les jeunes. Exit donc l'ex-Fis et fini le compagnonnage de Ali Benhadj et Abassi Madani. L'image est saisissante de ce changement de cap : Ali Benhadj faisant le pied de grue à l'aéroport pour accueillir le « frère » qui ne vient pas… Le message politique est clair : Rabah Kébir est en service commandé. Et ce n'est certainement pas avec l'indécrottable Ali Benhadj qu'il va faire bon ménage, d'où le souci d'éviter la promiscuité. Alors que le réveil politique de ce dernier est figé à juin 1991, son vieil ami, lui, entonne publiquement l'hymne de la réconciliation. Les deux ex-dirigeants du FIS dissous ne parlent désormais plus le même langage. A chacun sa religion. Et le pouvoir de Bouteflika semble avoir choisi son cheval. Ali Benhadj devra comprendre sa douleur qu'il n'est plus en odeur de sainteté. Il attendra peut-être le prochain arrivage, en provenance des Etats-Unis cette fois. Quant au pouvoir, il tendra maintenant une oreille attentive à l'écho que renverront les maquis à l'appel de Kébir pour ses frères afin qu'ils cessent les hostilités. Il revient pour ceux-là.