Les premiers résultats obtenus au bout de six mois de contacts et d'application des mesures de la Charte ne sont pas -loin s'en faut- à la mesure des attentes suscitées. Bouteflika se trouve face à des choix difficiles. Son silence le prouve. Les premiers résultats obtenus au bout six mois de contacts et d'application des mesures de la Charte ne sont pas -loin s'en faut- à la mesure des attentes suscitées. Le président de la République est le premier à le savoir, lui qui comptait bien arriver à de meilleurs effets. Noureddine Yazid Zerhouni a indiqué, il y a deux semaines, que des résultats positifs ont été réalisés grâce à la réconciliation nationale qui a permis la reddition de 250 à 300 terroristes. On peut même suggérer qu'une réelle accalmie caractérise les zones-crises depuis le début du mois d'août. Mais, si l'on se réfère aux réalités du terrain, on peut alors supposer que les choses ne sont pas aussi nettes qu'on le dit. Et les indices ne manquent pas pour les partisans de cette seconde hypothèse, qui s'appuient sur la flambée des actes liés au terrorisme pour remettre en cause l'importance des redditions et leur impact sur le quotidien des maquis. Deux leaders emblématiques de la mouvance islamiste radicale, Abdelhaq Layada, chef historique du Gia, récemment libéré par décret présidentiel, et Madani Mezrag, chef de l'AIS, en trêve depuis le 1er octobre 1997, nous ont fait part de leurs observations. Tout en continuant à soutenir l'effort de paix du président Bouteflika, ils estiment que les applications sur le terrain ne sont pas exemptes de reproches et d'arrière-pensées qui font entrave à la réconciliation. Abdelhaq Layada: «Pour convaincre ceux qui portent encore l'arme à la main, il faut un minimum de garanties. Ils voient bien que beaucoup de ceux qui ont choisi la voie de la raison crèvent de faim ´´en bas´´. Des femmes impliquées dans des affaires islamistes sont toujours en détention. Des gens qui sont venus de l'étranger pour bénéficier des mesures de grâce ont été jetés en prison. Des détenus à Serkadji et à El Harrach incriminés dans des affaires islamistes ont vu leurs affaires ´´transférées´´ au pénal, et ne peuvent, de ce fait, bénéficier des mesures de la réconciliation nationale. Des repentis ne trouvent ni travail décent ni possibilité de subvenir à leurs besoins. Des responsables islamistes ne peuvent, à ce jour, se déplacer librement, sont interdits d'émettre le moindre avis, ont encore leur casier judiciaire ´´plein´´ malgré l'amnistie, et sont interdits de travailler et de voyager, alors que pour certains, leurs biens ont été saisis. D'anciens chefs de ces groupes armés, qui ont pourtant bénéficié de mesures présidentielles exceptionnelles, n'arrivent à survivre sans travail et sans ressources que difficilement. Dans la presse même, des personnalités politiques et de hauts fonctionnaires de l'Etat continuent à lacérer ces islamistes, qui ont choisi de déposer les armes, en les qualifiant quotidiennement de ´´terroristes´´, malgré les interdictions d'excès de langage contenues dans la Charte. Celui qui a encore les armes à la main est-il, après tout cela, convaincu de la sincérité de l'administration d'assainir un passé dont il n'est pas le seul responsable?» Madani Mezrag: Nous avons considéré la Charte pour la paix et la réconciliation nationale comme un plan de paix, or, ce plan de paix est loin d'être concrétisé sur le terrain. La Charte n'est qu'une partie du processus de réconciliation qui a démarré par une trêve et qui devra, impérativement, aboutir à une amnistie générale et le recouvrement par les frères de tous leurs droits civiques et politiques. Cette Charte incrimine l'ex-FIS et évacue la responsabilité de l'Etat dans la crise des années 1990. Dossiers en suspens Nous avons accusé le coup et continué à soutenir le président de la République, car nous avons une profonde conviction qu'il avait l'intention d'aller très loin dans son projet de paix, en dépit de nos propositions qui n'ont pas été prises en charge. Nous espérons que les applications de la Charte seront à la hauteur des attentes suscitées, bien que nous savons qu'il y a des entraves et des obstacles qui surgiront sournoisement ici et là. Comme nous savons qu'il existe chez nous une administration bureaucratique, manipulée et gérée par Hizb França. Le retour des leaders islamistes à l'étranger et auquel le président de la République tenait de manière très particulière, ne s'est pas effectué. Ni Rabah Kebir, ni Abdelkrim Ghemati, ni Ould Adda, ni Noui, encore moins Anouar Haddam et le «groupe de Londres», un des plus importants conglomérats d'islamistes algériens vivant en Europe, n'ont regagné Alger. Leur retour, on le sait, aurait donné de la crédibilité et de la consistance à l'offre de paix du président Bouteflika. L'impression que donnent ces anciens dirigeants du Fis dissous est que des «entraves sont mises sciemment par des clans connus pour faire échouer la paix». Ces entraves consistent dans les interdits et restrictions politiques et civiques dont ces leaders font l'objet. Selon un des leaders de l'ex-Fis à l'étranger, «les membres de l'instance exécutive du parti dissous à l'étranger ont rempli les démarches de régularisation auprès des autorités consulaires depuis treize semaines, et il était prévu que les délais d'étude des dossiers ne dépasseraient pas les six semaines». On estime à un millier les dossiers des islamistes vivant dans quinze pays d'Europe et qui attendent d'être traités, et seulement une vingtaine ont pu recevoir une réponse les deux dernières semaines. Voilà où en étaient les choses au 26 août dernier, et on devine, dès lors, la colère du président Bouteflika, qui avait exigé en pleine période de vacances le retour des magistrats afin d'instruire les dossiers en instance. La seule exception s'appelle Larbi Noui, qui vient de ren-trer récemment en Algérie. Abassi Madani, qui a quitté le pays librement, vit toujours au Qatar et n'a émis aucun souhait de retourner en Algérie. Les autres leaders islamistes rattachés à la direction de l'ex-Fis qui attendent la régularisation de leurs dossiers, même si pour des raisons tactiques ils n'ont émis aucun souhait de retour en Algérie, sont: Rabah Kebir: vice-président du Bureau exécutif national du Fis, puis président de l'Instance exécutive du Fis à l'étranger, vit en Allemagne. Abdelkrim Ghemati : menbre du BEN du parti dissous puis adjoint de Kébir, vit en Belgique. Abdelkrim Ould Adda: responsable du BE du parti à Mostaganem, puis porte-parole du Fis à l'étranger, vit en Belgique. Hocine Benabderrahmane: responsable du BE du parti à Relizane, puis membre de l'Instance exécutive du Fis à l'étranger, vit en Belgique. Ferhat Mechouak: responsable du BE du parti à Skikda, puis membre de l'Iefe, vit en Belgique. Djafer al-Houari: élu du Fis pour Boufarik, puis membre de l'Iefe, vit en Grande-Bretagne. Anouar Haddam: élu du Fis à Tlemcen, puis membre de la Délégation parlementaire du parti dissous à l'étranger, vit aux Etats-Unis. Ahmed Zaoui: membre du Conseil consultatif national du parti puis membre de la Coordination du parti à l'étranger, vit en Nouvelle-Zélande, en détention. Mourad Dhina: responsable de la Coordination du parti à l'étranger, vit en Suisse. Kamareddine Kherbane: ancien membre du Majliss echoura du parti, vit en Grande-Bretagne. Abdelkader Omar: membre du Conseil consultatif national du parti, a quitté le pays clandestinement pour les Pays-Bas. Continuer à séduire ou commencer à frapper? On avait déjà, précédemment, dit que ce serait un dilemme pour le président de la République, qui a maintenu le cap sur la paix depuis sa première investiture, en avril 1999, de rompre ce fragile équilibre politico-sécuritaire, d'autant plus que la guerre totale contre la subversion islamiste a largement démontré ses limites et son incapacité à gérer un phénomène récurrent. Bouteflika face à un dilemme Des mesures complémentaires aux mesures de réconciliation seront prises, prochainement, afin de conforter la paix, mais il est fort à parier que l'adhésion des islamistes, qui crient que cette charte les a outrageusement disqualifiés tout en leur faisant porter, seuls, le poids de la «tragédie nationale», ne se fera que sur la base de nouvelles concessions. Ceux-ci estiment qu'ils peuvent apporter un plus à la paix, pour peu qu'on les laisse faire, et qu'on cesse de leur demander des comptes tout en les maintenant en dehors du circuit et en les privant du moindre de leurs droits politiques et civiques. La guerre sourde que se livrent réconciliateurs et éradicateurs est perceptible à travers certains écrits de presse et renseigne sur les luttes qui se déroulent «plus haut». Avant même la fin du délai de grâce de six mois donné par les autorités aux groupes armés, on assista à un formidable cri de guerre lancé par la presse en direction de l'armée, faisant revenir les esprits aux événements de janvier 1991. On rabâcha quotidiennement que l'armée était sur le point de s'attaquer à tous les maquis terroristes pour les réduire en cendre, et la comédie n'avait que trop duré et qu'il fallait commencer l'éradication totale des groupes armés comme s'il s'agissait d'une guerre classique entre deux Etats. Alors qu'en fait, l'armée continue sa lutte de longue haleine contre le terrorisme tout en faisant sienne la politique de paix adoptée par le président Bouteflika. «En vertu du mandat qui lui a été conféré par le référendum du 29 septembre 2005, et conformément aux pouvoirs qui lui sont dévolus par la Constitution, le président de la République peut, à tout moment, prendre toute autre mesure requise pour la mise en oeuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.» Les enjeux liés à la guerre et à la paix et les fragiles équilibres politiques semblent être les principaux obstacles qui ont freiné un plan de paix dont on attendait beaucoup, et le Président, n'étant pas dupe de tous les obstacles, des échecs éventuels et des embûches qui pouvaient surgir, s'est laissé une marge de manoeuvre respectable.