Ce sont entre 30 000 et 35 000 entreprises qui risquent de disparaître progressivement. Les entreprises du secteur du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique (BTPH) sont les premières à subir les conséquences des restrictions budgétaires récemment décidées par le gouvernement. Elles sont déjà très nombreuses à se plaindre de ne plus être en mesure de recouvrer les créances qu'elles détiennent auprès du Trésor et des collectivité locales, mais plus grave encore, d'ajouter de nouvelles commandes à leurs plans de charge finissants. «Les prémices d'un net ralentissement d'activité dans le secteur névralgique du BTPH sont là et il faut être aveugle pour ne pas les voir», nous apprend le PDG d'une importante entreprise d'hydraulique, qui a pleinement vécu la crise des années 1990 et qui sait, par conséquent, de quoi il parle. Corroborés par les propos d'autres chefs d'entreprise — dont ceux du patron d'un bureau d'études d'architecture — tous sont unanimes à reconnaître que leurs avoirs en banque (trésorerie) fondent comme neige au soleil et que leurs dettes evers les fournisseurs s'envolent au point de ne plus être en mesure de les honorer aux échéances contractuelles. Des refus de livraison de marchandises par leurs fournisseurs attitrés seraient fortement à craindre, à en croire un de nos interlocuteurs. Face aux difficultés de recouvrement de leurs créances que les trésoriers et receveurs de l'Etat et des communes gèlent avec encore plus de zèle que par le passé, l'espérance de vie des entreprises du BTPH, qui ne bénéficient pas de soutien, sera à l'évidence très courte. Ce sont, bien entendu, les sociétés privées réellement soumises à l'obligation de résultats qui en feront les frais, les entreprises du secteur public et les grosses sociétés privées proches du pouvoir étant assurées d'obtenir des découverts bancaires et des facilités de crédits qui leur permettront de survivre autant que nos gouvernants le souhaiteront. Mais le malaise existe déjà aussi bien pour les opérateurs publics que pour les privés, qui constatent que, non seulement, les effets précurseurs d'un effondrement du secteur sont là, mais qu'ils arrivent en même temps que de sérieux faits aggravants que sont la baisse vertigineuse du dinar, l'envolée des prix des matériaux de construction (à plus de 60% importés), la chute de la rentabilité du travail et l'omniprésence d'une bureaucratie étouffante et de plus en plus corrompue. Quand autant de conditions défavorables sont réunies, la faillite des entreprises du bâtiment et plus largement celle du BTPH tout entier, devient une «fatalité structurelle», pour reprendre le propos pleins de sagesse du patron de bureau d'études d'architecture. Et pour preuve, la contribution de ce secteur au produit intérieur brut (PIB) aurait, selon l'Office national des statistiques (ONS), périclité d'au minimum 2 points de 2013 à ce jour, où il ne représente plus qu'environ 5,4% de la richesse nationale. Mais que reste-t-il donc à faire pour éviter la débâcle à ce secteur pourvoyeur de richesses et sur lequel repose la réponse aux deux plus importantes demandes sociales que sont l'emploi et le logement ? La question ne se pose évidemment pas comme au temps de la crise économique de 1990, à l'époque où tout dépendait du budget de l'Etat et des entreprises publiques, le privé n'existant pratiquement pas. Aujourd'hui que les choses ont beaucoup changé, notamment avec l'avènement d'une oligarchie (détenteurs de grosses fortunes) à même de prendre en charge le financement d'une grande partie des projets de bâtiment et de travaux publics, ne serait-il pas temps que l'Etat régulateur légifère pour rendre possible cette coopération avec nos hommes d'affaires ? La construction de logements de divers segments (social, promotionnels, luxueux, etc.) pourrait à titre d'exemple massivement être réservée aux promoteurs privés, à charge pour l'Etat de fixer les conditions de leur intervention, mais aussi et surtout de leur céder à des prix mutuellement négociés les terrains à bâtir. Il y aura à l'évidence péril en la demeure si l'Etat régulateur ne réagit pas aussi rapidement que possible face à l'orage qui s'annonce. Ce sont entre 30 et 35 000 entreprises offrant 900 000 à 1 100 000 emplois directs et indirects qui risquent de disparaître progressivement, avec tout le cortège de mises au chômage et de misère que cela implique. Qui ne se souvient des 1500 entreprises nationales et locales fermées et des 500 000 travailleurs licenciés au milieu des années 1990, suite aux ajustements structurels imposés par le FMI ? Revivre dans peu d'années la même situation est à craindre si rien n'est dès à présent fait pour s'en prémunir.