Nous sommes à une phase décisive de l'évolution de notre économie. Face aux incertitudes sur le volume et la durée restante de la rente – y compris une éventuelle exploitation du gaz de schiste—, le rythme de construction d'une nouvelle économie diversifiée est-il en adéquation avec la disponibilité des ressources ? Il ne reste pas grand-chose comme revenus et les exigences de la construction d'une économie émergente exigent d'énormes moyens. Serons-nous en mesure de bâtir une économie forte et diversifiée avant la déplétion des ressources ? Toute la problématique réside dans les scénarios construits autour de ces questionnements. La population est en droit de s'interroger. Que nous réserve l'avenir ? A quelle période connaîtrons-nous les pires conséquences de l'effondrement du prix de l'énergie ? Nous ne sommes pas la seule économie à subir cette situation. Le Venezuela se trouve dans une position encore plus critique ; il va aller à l'endettement bien avant nous. Mais il faut surtout analyser les pays qui ont réussi à construire une économie diversifiée avant l'épuisement des recettes provenant des hydrocarbures. L'Indonésie et la Malaisie étaient dans une situation identique. Mais ces pays ont réussi à opérer un virage important dans leur politique économique, juste avant la réduction drastique de leurs exportations pétrolières. Cependant, leurs approches ont été très différentes des nôtres. Ils ont financé ce que l'on appelle les «facteurs-clés de succès» (FCE). Nos plus hautes autorités sont en train de consulter nos meilleurs experts, à travers le CNES. Il est temps de faire un changement profond au sein de nos politiques économiques. Nous ne pouvons pas faire une autre erreur et nous en sortir. Par le passé, nous avions toujours une autre décennie pour corriger les errements du passé. Mais nous faisons face à notre dernière chance. La Question de la Durée En fait, combien de temps nous reste-t-il pour épuiser nos ressources disponibles et recourir à l'endettement international ? Bien sûr que cela dépend de l'évolution de beaucoup de paramètres économiques et géopolitiques. Mais une saine planification stratégique consiste à travailler sur le scénario le plus pessimiste. Certains de nos spécialistes en énergie s'attendent à une remontée des prix entre 60 et 80 dollars dans trois ans. Peut-être ! Mais en matière d'énergie, nul ne le sait. Un cabinet d'études britannique a interrogé une trentaine de personnes et d'institutions qui avaient fait les meilleures prévisions sur les prix pétroliers par le passé. Leurs anticipations variaient de 30 à 140 dollars pour les dix prochaines années. Preuve que l'incertitude est totale ! Lors d'une conférence que j'ai donnée pour le Forum des chefs d'entreprises (FCE), il y a trois ans, je préconisais de travailler sérieusement sur un scénario de réduction drastique des prix pétroliers. Un des plus grands experts de la question pétrolière contesta, disant qu'il était impossible que les prix pétroliers chutent sur les dix prochaines années. Puisque personne ne sait, travaillons sur le scénario le plus pessimiste. En juin 2015, nos réserves frôlaient les 160 milliards de dollars suite à une chute de plus de 34 milliards de dollars. Si on faisait une comptabilité plutôt pessimiste, on tablerait sur 30 milliards de dollars de recettes par an. Les importations de biens et de services peuvent se situer à 60 milliards. Il faut bien laisser au moins 20 milliards en réserves. Si la situation ne change pas, fin 2018, on commencera à penser aux problématiques financements extérieurs. Bien sûr que beaucoup de décisions peuvent être prises pour allonger la période ou faire mieux : changer radicalement d'approche, prendre la trajectoire de l'émergence et déconnecter progressivement l'économie de la dépendance des hydrocarbures. On peut réduire les importations d'une manière significative et allonger les délais. On analyse la nomenclature des postes importants pour y consentir des investissements de substitution. On rénove nos politiques d'exportation. Pour cela, il faut libérer réellement les initiatives, celles des entreprises publiques et privées, surtout celles qui réussissent. Trois ans et après ? Le citoyen dira mais on a trois ans devant nous et après, les solutions peuvent surgir de toutes parts. Trois ans dans la vie d'une nation ne sont qu'un clin d'œil. Les moins jeunes se rappellent l'indépendance, 53 ans auparavant, comme si c'était hier. Il nous faut prendre conscience de nos problèmes fondamentaux pour les éradiquer. Il n'y a pas mieux qu'un diagnostic profond et indépendant. Toutes les recherches internationales indépendantes que j'ai lues sur notre pays arrivent à la même conclusion. En jargon économique, on dit : «Le pays souffre d'une productivité globale des facteurs très faible et déclinante». En termes plus simples, nos entreprises et nos institutions sont si mal gérées qu'elles ne savent pas transformer les ressources en richesses durables. Autrement dit, elles vont dilapider la plupart des moyens qu'on leur donne. C'est pour cela qu'en 2003, j'ai déclaré à maintes reprises que l'argent injecté par les «futurs plans de relance» nous donnerait 20 à 30% des infrastructures financées, le reste ira en restes à réaliser, corruption, malfaçons, etc. On se rend bien compte, maintenant, que c'est ce qui s'est passé. Alors allons-nous gagner la course contre la montre, comme la Malaisie et l'Indonésie, ou allons-nous échouer une fois de plus ? Toutes les recherches internationales, parfois à coups d'équations économétriques, parfois par de simples ratios comparatifs, aboutissent aux mêmes conclusions. Quand le gouvernement injecte 3 à 4 dollars dans notre économie, cette dernière nous en produit moins d'un dollar (33% du PIB injectés pour avoir moins de 4% de croissance). En Chine, avec un dollar injecté par l'Etat, l'économie fabrique 3 dollars de biens et de services. C'est là le défi de notre pays. Comment faire pour que notre appareil économique se transforme en un ensemble qui crée de la richesse au lieu d'en dilapider ? Il ne faut pas continuer à donner de l'argent aux institutions, mais les réparer d'abord. Lorsqu'on a un moteur de véhicule défectueux, on le répare d'abord ; on ne le remplit pas uniquement d'huile et d'essence. Toute la problématique de la course contre la montre est là. Allons-nous continuer à mettre de l'huile et de l'essence dans un moteur défectueux ou le réparer d'abord ?