Nicolas Sarkis est le directeur du Centre arabe d'études pétrolières et de la revue Pétrole et Gaz arabes, basés à Paris. Il décortique dans cet entretien la situation du marché pétrolier à la veille de l'importante réunion des pays membres de l'OPEP qui se tiendra le 17 décembre à Oran (Algérie). Comment expliquez-vous la tendance baissière des cours du baril de pétrole malgré la baisse du niveau de production de l'OPEP ? Rejoignez-vous l'avis des analystes qui estiment que les quotas ne sont pas respectés par tous les membres ? Les mesures prises jusqu'ici par l'OPEP pour faire face à l'effondrement du marché pétrolier n'ont pas été, pour le moins que l'on puisse dire, à la hauteur des défis et de la gravité de la crise. Les décisions de réduction de la production prises en septembre et octobre et portant sur un total de 2 millions de b/j ont non seulement été insuffisantes, mais n'ont été respectées qu'à 45% par les pays membres. C'est la raison pour laquelle elles n'ont pas convaincu les opérateurs et la tendance à la baisse a continué. L'OPEP peut-elle encore avoir une influence sur les cours ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Peut-il y avoir un consensus sur les prix ? L'OPEP couvre 43% de la production et plus de 54% des exportations pétrolières mondiales. Il est évident que ceci lui donne un pouvoir considérable dans la régulation du marché, d'autant plus qu'elle est la seule organisation créée pour défendre les intérêts des Etats membres et que les autres pays exportateurs produisent à pleine capacité. Par ailleurs, pour la plupart de ces derniers, la production stagne ou elle est en déclin. A présent, et compte tenu des données fondamentales du marché, une baisse de quelque 2 millions de b/j de la production de OPEP aurait incontestablement l'effet d'un électrochoc qui inverserait la tendance à la baisse des prix. Une coordination avec la Russie et d'autres pays exportateurs faciliterait évidemment cette inversion de la tendance. Avec la crise financière et économique mondiale, l'on s'attend à une réduction drastique de la demande. Un krach pétrolier est-il possible ? Le pétrole est une ressource épuisable et trop précieuse pour être dilapidée ou vendue à vil prix. Le monde en aura de plus en plus besoin comme source d'énergie et, pour augmenter les capacités de production et assurer les investissements nécessaires, un prix plancher de 90-100 dollars par baril est nécessaire. Il faut rappeler aussi que l'Indonésie quitte l'OPEP à la fin de cette année parce qu'elle est devenue un importateur net de pétrole. Ce sera, qu'on le veuille ou non, le sort de tous les autres pays actuellement exportateurs. Le pétrole n'est pas la propriété exclusive de notre génération. Il faut penser aux générations futures en préparant l'après-pétrole, c'est-à-dire en développant des activités productives propres à assurer d'autres sources de revenus. Si les pays exportateurs de pétrole étaient aujourd'hui les Etats-Unis, l'Allemagne ou le Japon, les prix du pétrole auraient certainement été de 200 dollars au moins. C'est d'ailleurs déjà la moyenne des prix des produits finis payés par les consommateurs dans les pays industrialisés. Ceci est le résultat du rapport de forces et du partage de la rente pétrolière au détriment des pays actuellement exportateurs. Pour les pays industrialisés, le défi énergétique réside dans la nécessité de s'assurer de nouvelles sources d'énergie. Quant aux pays en voie de développement producteurs de pétrole, le défi est bien plus grand. Il réside aussi bien dans la nécessité de couvrir leurs besoins énergétiques qui vont en croissant que dans la diversification de leurs sources de revenus. Pour relever ce double défi, la maximisation de leurs revenus pétroliers est une condition sine qua non.