La situation est de plus en plus insoutenable pour Sonelgaz, dont les besoins en investissements dans les infrastructures, les équipements énergétiques sont de plus en plus croissants face à la hausse de la demande interne. Parallèlement, l'Etat n'a plus les moyens pour aller au secours d'une entreprise fragile financièrement. De même qu'il n'a pas les arguments pour rejeter encore une fois la demande de Sonelgaz de réajuster les tarifs de l'électricité. Gelée depuis 2005, relancée à maintes reprises et approuvée par la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG), la hausse des tarifs de l'électricité et du gaz est toujours en attente. Et voilà que la question refait surface en cette période d'incertitudes économiques. Le PDG de Sonelgaz, Noureddine Bouterfa, qui a fait de ce dossier son cheval de bataille tout au long de cette décennie, comme le montrent ses différentes sorties médiatiques sur ce sujet, a saisi l'opportunité de la crise pour reformuler, mais surtout pour justifier, sa demande. «La conjoncture actuelle, marquée par une réduction drastique des revenus de l'Etat exige de trouver des réponses pérennes à la question de la disponibilité financière afin de pouvoir réaliser notre programme d'investissement d'un montant de plus de 2 800 milliards de dinars à mobiliser d'ici 2017», a déclaré M. Bouterfa la semaine dernière, évaluant les investissements nécessaires à l'horizon 2024 à 2 700 milliards de dinars. Il réclame, pour rappel, une revalorisation des prix de 11% chaque année pour pouvoir financer les investissements liés à l'augmentation des capacités de production. «Nous devons être auprès de l'Etat en lui proposant des solutions novatrices à même de lui permettre de mettre en œuvre une politique d'augmentation graduelle des tarifs de l'électricité et du gaz sans que cela remette en cause la cohésion sociale», a expliqué dans ce sillage M. Bouterfa, reconnaissant ainsi le risque que peut générer le réajustement des tarifs de l'électricité et du gaz. Remettant sur le tapis ce dossier, le premier responsable de Sonelgaz espère aller vers une révision à la hausse des tarifs pour tous les clients de l'entreprise (haute, moyenne et basse tension) sans distinction. Bouterfa sollicite, Khebri rassure Une demande légitime de la part d'un manager en quête de moyens financiers, mais que le gouvernement semble vouloir éviter du moins pour les consommateurs basse tension qui représentent globalement 60% du portefeuille des clients du groupe pour l'heure, en dépit du retournement de la conjoncture économique. En attendant le courage politique de prendre une telle décision, les pouvoirs publics ont décidé de commencer par les industriels pour appliquer la levée graduelle des subventions. Ils tentent également de jouer l'assurance. «L'augmentation des prix de l'électricité et du gaz, prévue en 2016, touchera uniquement les industriels et les gros consommateurs», a précisé pour sa part le ministre de l'Energie, Salah Khebri, pour qui il s'agit d'éviter toute confusion. «Le citoyen simple ne sera pas du tout touché par l'augmentation des prix. Seuls les industriels et les gros consommateurs sont concernés», a ajouté M. Khebri. Une déclaration qui montre clairement les difficultés du gouvernement à affronter la réalité du terrain. C'est-à-dire une croissance importante de la demande en énergie électrique face à l'incapacité de l'Etat à continuer à aider Sonelgaz dans le financement de ses projets. Et ce, d'autant que la consommation est sans cesse en évolution. Entre juillet 2014 et juillet 2015, la consommation d'électricité a augmenté de plus de 15%, alors que le groupe compte aujourd'hui 2,5 millions de clients en électricité et 2,2 millions de clients dans le gaz à satisfaire. Avant Khebri, son prédécesseur Youcef Yousfi a toujours jugé inéluctable l'augmentation des tarifs, avançant les mêmes arguments et jouant également la prudence et l'assurance. Pour Yousfi, «les tarifs bas de l'électricité doivent augmenter d'une manière progressive et rationnelle en tenant compte du pouvoir d'achat des citoyens». Des tarifs qui, pour rappel, sont fixés 2,20 DA le kilowatt/ heure pour un coût de revient de 3 DA hors taxes. En d'autres termes, Sonelgaz vend moins cher l'énergie que le coût de production, avec des tarifs inférieurs de 35% à son prix réel. Industrie : fini l'énergie bon marché Des tarifs en voie de réajustement dans le secteur industriel qui occupe, faut-il le noter, la place en Algérie en termes de consommation d'électricité (en moyenne 40% contre 60% pour les clients basse tension), dont le modèle actuel de consommation de l'énergie pourrait atteindre à l'orée 2020 une production de 42% de gaz à effet de serre (GES), selon l'Agence nationale pour la promotion et la régulation de l'utilisation de l'énergie (APRUE). Et ce, avec des prévisions de consommation énergétique de 7 mtep en 2018 et à 8 mtep en 2020 (hausse de 45%). Prévue dans le projet de loi de finances 2016 en attente d'approbation par les deux Chambres, la décision de revoir à la hausse les tarifs d'électricité destinée à l'utilisation industrielle a suscité déjà une inquiétude auprès des opérateurs économiques. Un chef d'entreprise spécialisée dans la maroquinerie nous dira à ce sujet : «Déjà qu'on paye beaucoup de charges, s'il y a augmentation des tarifs d'énergie, ça sera une catastrophe. Dans ce cas, on sera obligés d'augmenter les prix. Mais faudrait-il en parallèle freiner les importations pour nous permettre d'augmenter les ventes.» Même avis du côté des industriels agroalimentaires (IAA). «On va avoir de sérieux problèmes si on applique des augmentations de 20 à 25%», avertit d'emblée Boudjemaâ Ifri, président d'Algérie Consortium des industriels agroalimentaires (ACIA). Et d'enchaîner : «Ce sera des coûts en plus pour les entreprises. Cela va se répercuter sur les prix de nos produits. Les industriels ne pourront jamais faire face à une telle situation.» Donc, au final, même s'il est épargné dans un premier temps par cette hausse, le consommateur finira par mettre la main à la poche via ses achats. Notre interlocuteur, dont les entreprises payent en moyenne une facture de 200 000 à 400 000 DA par unité de production, propose par ailleurs d'opter pour d'autres solutions beaucoup plus souples mais surtout de rattraper le retard accusé dans le développement des énergies renouvelables. Justement sur cette question, les experts estiment nécessaire de rationaliser l'utilisation de l'énergie dans le secteur industriel. Moderniser les procédés pour économiser l'énergie Comment ? Pour le professeur Noureddine Yassaa, directeur du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), «une hausse de la facture d'électricité, qui touchera le segment industriel, incitera inéluctablement nos industriels à prendre des mesures très sérieuses quant à la modernisation des procédés industriels et la gestion énergétique, l'économie d'énergie et l'intégration des solutions alternatives». Dans ce cadre, certaines entreprises industrielles ont déjà approché, selon notre interlocuteur, le centre pour mener des études d'audit énergétique afin d'intégrer les énergies renouvelables comme source d'alimentation électrique. «Des options technologiques à base des énergies renouvelables, totalement autonomes, sont disponibles et modulables en fonction des besoins énergétiques», notera le premier responsable du CDER, qui donnera l'exemple des IAA. «Les IAA peuvent recourir à l'énergie solaire thermique pour la production de la chaleur et de la vapeur d'eau et le soleil pour le séchage des produits. L'énergie solaire photovoltaïque peut être utilisée pour l'alimentation en électricité en mode autonome. L'éclairage solaire combiné avec l'usage des lampes LED, surtout s'ils sont produits localement, est une solution très rentable même à court terme», expliquera-t-il. Et de souligner que l'autonomie énergétique renouvelable avec une gestion intelligente (smart) est en vogue actuellement dans les pays industrialisés et intégrée dans les «business plan». Pour avoir ces résultats en Algérie, il faudrait assurer les conditions nécessaires à cet effet. C'est-à-dire encourager l'utilisation des énergies renouvelables dans les industries de manière à compenser la hausse des tarifs d'énergie d'origine fossile dans le secteur industriel. Pour cela, le directeur du CDER propose d'accorder un traitement fiscal privilégié ou mettre en place un mécanisme d'incitation particulier, similaire à celui des tarifs de rachat garantis aux industriels qui font appel aux énergies renouvelables. Il reste à savoir si le gouvernement se penchera sérieusement sur cette question. S'il aura du mal à convaincre les industriels, comment fera-t-il, s'il décide de passer à la levée des subventions de l'énergie destinée aux ménages ? Et surtout pour forcer le passage au nouveau modèle de consommation d'énergie. C'est sur ce point qu'insistent de nombreux experts, selon lesquels le plan national des énergies renouvelables sera sans résultat si un nouveau modèle de consommation énergétique n'est pas mis en place.