La confrérie rahmanite (Tariqa), fondée en Kabylie au XVIIIe siècle par Mohamed Ben Abderrahmane El Djardjari, "était à son origine d'essence pacifique et n'avait aucune vocation guerrière", a affirmé dimanche le chercheur en anthropologie le Dr. Mohamed Brahim Salhi. Dans une communication intitulée "la Rahmaniya: une spiritualité entre le global et le local", le Dr. Salhi de l'université de Tizi-Ouzou a, rappelé, à l'ouverture à Tizi-Ouzou du colloque international sur le soufisme, consacré à "la chevalerie spirituelle dans l'ordre rahmani", les principes fondateurs de cet ordre religieux. "Puisés du soufisme, ces principes, a-t-il dit, prônent la paix, l'amour d'autrui, la tolérance, la convivialité, l'altruisme, l'abnégation jusqu'au sacrifice et autres valeurs visant l'apaisement et la purification de l'âme pour la soustraire aux sollicitations égoïstes et atteindre un stade suprême de spiritualité". Ces principes ont toujours guidé, selon lui, les disciples et les fidèles de la Tariqa Rahmania qui "n'a jamais eu la prétention de régenter la société d'en haut". Mais cette "attitude ascétique et mystique" ne dura que jusqu'à 1857, date de l'insurrection de la Kabylie contre l'invasion coloniale, qui "amena, par devoir, la Tariqa Rahmania à se mettre dans une posture d'exhortation de la population à combattre l'ennemi". Cet Ordre religieux devint, alors, "le moteur de la résistance populaire contre les envahisseurs". Cette résistance fut incarnée par des figures emblématiques, telles que cheikh El Mokrani, cheikh El Haddad, Hadj Amar, Lalla Fatma N'soumer et autres héros, tous imprégnés des valeurs spirituelles de la généreuse école du soufisme que l'administration coloniale qualifiait de "l'église d'Algérie" pour signifier la place et le rôle des zaouias dans la lutte contre l'occupation. Evoquant, par ailleurs, le déploiement de la tariqa rahmania à travers la Kabylie, le conférencier a relevé que la diffusion des préceptes et enseignements de celle-ci s'est appuyée sur "un réseau préexistant de zaouias appartenant aux ordres de la Tidjania, Qadiria, Chadilia et autres, disposant d'un pouvoir scripturaire pour l'enseignement de la religion". Mais sa propagation est aussi "le fait de Khouanes (disciples) qui ont été d'un grand apport pour la transmission du message, à travers le Dhikr (chants et poésies religieux) déclamés dans le parler kabyle, ce qui a permis l'adhésion à cet ordre spirituel de croyants ordinaires ne disposant pas de savoir", a-t-il ajouté. Pour rappel, la confrérie rahmanite est l'une des corporations religieuses issues de la "Khalouatia". Son fondateur est Mohamed Ben Abderrahmane El Guechtouli El Djardjari (1715-1793), natif des Ath Smail (Tizi-Ouzou). Il fut l'un des meilleurs élèves de cheikh El Hahfanoui de l'université d'El Azhar (Egypte). Chevalier éprouvé de la foi, il parcourut le Soudan, l'Inde, le Hidjaz et la Libye, propageant partout la doctrine du soufisme, avant de revenir au pays vers 1783 pour fonder une zaouia à Ath Smail et une autre à El Hamma (Alger). Ses prédications lui attirèrent des foules enthousiastes, suscitant des "jalousies" de zaouias rivales, lui causant beaucoup de déboires avec la régence turque qui dut le chasser d'Alger. Même après sa mort, ces deux lieux de culte continuèrent à être de véritables "agences" de diffusion de la bonne parole et de servir de refuge aux démunis.