La tidjaniyya est l'une des plus influentes confréries religieuses en Afrique ; un soufi d'Azerbaïdjan a inspiré la tariqa rahmaniyya ; la différence entre les concepts de soufi, chiite, salafiste ; ce sont là les questions qui ont été relevées et soulevées dans la première conférence. Après une allocution très inspirée de la ministre de la Culture, qui a mis en garde contre le danger qui guette les confréries religieuses : l'homogénéisation et la nationalisation de ces voies, pourtant si riches dans leur diversité, place à la première conférence de ce 6e colloque sur le soufisme, qui se tient depuis avant-hier à Djanet. Intitulée “Les origines du soufisme, la construction et le développement des voies religieuses en sociétés religieuses”, cette partie du colloque a été consacrée aux définitions, présentations et marquages de la présence du soufisme en Afrique. Le premier à se jeter dans l'arène a été l'anthropologue algérien, Zaïm Khenchelaoui, qui s'est intéressé à la figure du fondateur de la tariqa tidjaniyya, Sidi Ahmed Tidjani, dont le mythe se confond souvent avec la réalité de l'homme et le parcours mystique de cette figure de proue de la tariqa. Mohamed Ali Doubed, chercheur et maître de conférences à l'université de Djibouti, s'est intéressé aux origines du soufisme dans la Corne de l'Afrique, et ce chronologiquement. Il a entamé sa communication par déterminer la présence de l'islam dans la Corne de l'Afrique ; puis il a développé les facteurs qui ont favorisé et aidé l'installation du soufisme dans la région ; et d'évoquer, en dernier lieu, le rôle social de ces confréries. Selon le communicant, la Corne de l'Afrique est le carrefour de la civilisation et de la religion. Mais cette région du monde vit une situation sécuritaire assez complexe, puisque la guerre pose réellement problème, et c'est là où intervient le rôle des confréries religieuses. “La difficulté, c'est la guerre, mais c'est quelque chose qu'on peut résoudre par les confréries religieuses. Le problème de la sécheresse aussi”, a-t-il déclaré. Pour un “profane”, ceci peut sembler démesuré, mais en réalité, le rôle des confréries religieuses est d'une très haute importance ; et celles-ci interviennent dans des moments cruciaux pour jouer un rôle de rassembleur. Elles agissent comme un élément fédérateur, mais, malheureusement, ce n'est pas très évident dans la Corne de l'Afrique, puisqu'il n'y a pas de connexions entre les tariqas qadiriyya et chadiliya. “Il y a même des attaques personnelles entre les chefs”, a déploré M. Ali Doubed. De son côté, Athmane Siraj Eddine Fath Errahmane Ahmed, chercheur soudanais, a expliqué la manière dont le soufisme s'est propagé, et comment la tariqa qadiriyya s'est installée dans son pays. En fait, on raconte plusieurs choses sur l'apparition du soufisme au Soudan. La version la plus proche de la vérité stipule que le soufisme a fait son entrée au Soudan, en 1564, par le biais du cheikh Fahd Eddine El-Boukhari. Quant à la tariqa qadiriyya, elle a été introduite par cheikh Kheir Eddine El-Bouhali. Le propos du conférencier a porté également sur le rôle du soufisme dans l'union et le rassemblement des sociétés africaines. La conférence de la chercheuse azerbaïdjanaise, Zohra Aliyeva, a porté sur la personnalité et le parcours de Sayed Yahyâ Bâkuvi, mais surtout sur son influence en Afrique. Ce personnage est le père spirituel de la tariqa rahmaniyya. Sayed Yahyâ Bâkuvi vécut en Azerbaïdjan vers le XVe siècle et n'a jamais quitté sa terre. Cet écrivain, initiateur de la tariqa khalwatiyya en Azerbaïdjan, a eu des milliers d'adeptes qui ont sillonné le monde. Ils sont même arrivés en Algérie, et précisément en Kabylie. Sidi Abderrahmane Chérif s'inspire de la présence des soufis khelwati en Algérie et fonde la tariqa rahmaniyya. Chiisme - salafisme - soufisme : quelle différence ? Au cours du débat, riche en interrogations, un intervenant s'est interrogé sur la différence entre le chiisme et le soufisme, dans la mesure où tous deux obéissent à des règles et leurs adeptes sont reclus. Beaucoup de secrets et de zones d'ombre planent autour de ces deux voies, qui sont d'ailleurs toutes deux religieuses. En effet, à moins d'être un adepte, il n'est pas évident de connaître toutes les pratiques de ces voies religieuses. Le conférencier à qui la question était adressée s'est référé à l'explication que donne Henri Corbin sur la question. Il dit en substance que ces deux expériences ne doivent pas être confondues puisque le chiisme est une expérience interne dans le sens d'une interprétation iranienne persanophone. Et par conséquent, toute analyse de ces deux manifestations de l'islam sur les sociétés humaines doit se faire isolément et séparément. La diversité encore et toujours. Quant au salafisme, un conférencier du Sénégal qui est intervenu hier matin a expliqué que le salafisme était une dérive, voire une déviation. Le soufisme est une émanation et une prolongation de l'islam ; le salafisme est une prise de position de se mettre à une extrémité. Et d'ailleurs, ce même conférencier a déclaré que les confréries religieuses au Sénégal combattaient justement le salafisme.