Alors que le ministre de la Santé veut accélérer la transplantation d'organes à partir de donneurs décédés, que dit la loi ?Que dit l'islam ? Et que dit la société ? El Watan Week-end a enquêté sur un don encore mal accepté. «La loi autorisant les prélèvements d'organes sur des personnes décédées existe depuis 30 ans, et sur le plan religieux et législatif, il n'existe aucun blocage. Il faut seulement inciter et motiver les équipes à pratiquer cette médecine de pointe, multidisciplinaire, nécessitant une activité hospitalière H24.» Pour Tahar Rayane, chef de service de néphrologie, dialyses, plasmaphérèse et transplantation rénale à l'hôpital Nefissa Hamoud (ex-Parnet), l'Algérie n'est pas encore prête à généraliser, comme le souhaite le ministre de la Santé, la transplantation d'organes de donneurs décédés. Car les conditions techniques ne sont pas encore toutes réunies et de nombreuses familles ne sont pas disposées à franchir ce pas. La question qui revient le plus souvent ? Est-ce que le don d'organes est halal ou haram ? La réponse de l'islamologue Rebaj Ahmed Rebaj est sans appel : «Dans un verset coranique, l'islam permet clairement le don d'organes.» Il faut, selon lui, seulement veiller à ce que certaines conditions soient réunies. «De nombreux savants et organismes musulmans affirment que la transplantation d'organes à partir des morts est permise en islam mais sous conditions», explique-t-il. Tout d'abord, «la mort certaine du donneur» explique Rebaj Ahmed Rebaj. Selon lui, «si la mort n'est pas officiellement prononcée par un médecin, le prélèvement d'organe est impossible». Ainsi, afin de mettre en place les dispositifs de prise en charge de la mort encéphalique* (diagnostic de la mort cérébrale par électro-encéphalogramme ou artériographie cérébrale), le professeur Tahar Rayane précise qu'il est «impératif que les équipes de greffe soient informées de l'existence des personnes en mort cérébrale, qui sont en général hospitalisées dans des services de réanimation, et qui ne représentent que 10% de tous les décès constatés dans un hôpital». Course contre la montre Dès que cette procédure est achevée, «s'engage alors une vraie course contre la montre», confie le professeur Tahar Rayane. En effet, le spécialiste affirme qu'«il faut que l'équipe de réanimateurs maintienne en bon état clinique le patient afin de pouvoir effectuer le prélèvement qui doit se faire dans les 24 heures, voire 48 heures grand maximum». Il poursuit : «Durant ces 24 heures, il faut non seulement effectuer tous les bilans biologique, immunologique, viraux… mais il faut aussi rechercher le receveur idéal qui pourrait accepter l'organe prélevé.» Autrement dit, toute l'activité de prélèvement et de greffe doit être coordonnée par une équipe composée d'un personnel médical et paramédical formé et affecté à cette mission. Dès qu'une mort encéphalique est diagnostiquée, cette équipe doit mettre en place une série de mesures pour accueillir le patient décédé et préparer le prélèvement. «Elle doit par ailleurs recevoir les parents du patient décédé pour leur annoncer la mort et demander leur accord pour le prélèvement, et par la suite contacter le futur receveur», soutient le professeur Rayane. De son côté, l'islamologue Rebaj Ahmed Rebaj ajoute : «Afin que la procédure soit réalisable d'un point de vue religieux, il est impératif qu'elle se fasse dans un établissement hospitalier spécialisé afin d'éviter tout risque de trafic d'organes.» Ce dernier avance par ailleurs une autre condition religieuse : «La nécessité extrême de la transplantation suggérée par les médecins.» En d'autres termes, il faut que le pronostic vital du patient en attente d'un greffon soit engagé afin que la transplantation soit envisageable. Carte de donneur Pour que la transplantation soit halal, il faut également que le donneur «ait donné son accord par écrit avant sa mort», souligne le Dr Rebaj. La mise en place d'un dispositif d'information de la volonté du défunt (carte de donneur, registre des donneurs, registre des refus) est obligatoire sans quoi le prélèvement ne peut se faire. «Malheureusement, la majorité des Algériens ne se sont jamais prononcés sur la possibilité d'être un jour donneur d'organe après leur mort. Dans la majorité des cas, les membres de la famille ne sont pas au courant de la volonté du défunt et dans la plupart des cas, ils refusent le prélèvement», révèle, dépité, le professeur Rayane. «Dans notre pays, la volonté du défunt n'est pas prise en considération, puisqu'à ce jour il n'existe pas de carte de donneur, ni de registre de donneurs ou de refus.» Pour y remédier, «il faudrait d'abord connaître les volontés de chacun. L'instauration de cartes de donneurs ou d'un registre de refus pourrait aider. La liste des personnes qui refusent d'être prélevées pourrait être consultée à tout moment par l'équipe de greffe», propose le spécialiste. Par ailleurs, le professeur estime que la mise en place d'une liste d'attente actualisée des receveurs potentiels est obligatoire. «Dès que le donneur a été localisé, ausculté, reste à identifier les futurs receveurs et choisir ceux qui ont le maximum de ressemblance immunologique avec le donneur (compatibilité sanguine, groupage sanguin, compatibilité tissulaire), d'où la nécessité de cette liste», explique le professeur. Autre condition primordiale : «Que l'organe ne cause pas des problèmes de généalogie et de parenté», confie Rebaj Ahmed Rebaj. Le spécialiste met en garde contre ce genre d'incident susceptible de se produire dans le cas de transplantation des parties génitales. Refus Le professeur Tahar Rayane soutient que la répartition des greffons doit obéir à des critères d'équité concernant l'âge du receveur, la durée d'attente en dialyse et aux contre-indications médicales éventuelles. Il insiste aussi sur la disponibilité 24h/24 des receveurs. Autre point essentiel au succès d'un programme de greffe : l'organisation de campagnes de sensibilisation. Pour le professeur Tahar Rayane, «ces campagnes sont obligatoires, car le taux de refus actuel est de 90% (9 familles sur 10 consultées refusent le prélèvement) et il faut à tout prix le réduire. Ces campagnes doivent être réalisées par des spécialistes en communication, ciblant tous les citoyens et surtout en rendant pérenne cette sensibilisation». D'après le sociologue Mohamed Kouidri, «la résistance à tout changement est normale dans toute société humaine, surtout lorsque la question touche à l'homme, à son esprit ou à son corps. Le problème est universel mais avec des différences d'intensité et selon le niveau culturel général». Idées reçues Pour le professeur Ahmed Nekhla, chef de service de chirurgie thoracique et vasculaire et de transplantation rénale au CHU de Tizi Ouzou, l'annonce faite par le ministre est une «énième annonce et je suppose que cela est tout à fait anodin de la part d'un homme politique, car le ministre a beau annoncer ce qu'il veut, la concrétisation ne peut venir que du terrain. La décision en elle-même est certes importante, mais il me semble que les ingrédients ne sont pas totalement réunis pour le succès». Le professeur Tahar Rayane partage son avis et déclare : «Il faudrait que toutes les conditions soient réunies pour que ce genre d'interventions réussissent, et ce n'est pas le cas dans la majorité des structures hospitalières de notre pays.» Pour la petite histoire, il raconte que le CHU Mustapha a annoncé au début de l'année 2015, la programmation d'une greffe à partir d'une personne décédée le 1er juin 2015. «Jusqu'à ce jour, des milliers de patients attendent ce rein providentiel !» confie-t-il. Pour Mohamed Kouidri, l'aboutissement du projet très ancien de transplantation d'organes est en soi une bonne initiative pour faire avancer un peu les mentalités dans la société en général. De son côté, le sociologue Noureddine Hakiki espère que «la rupture avec les idées reçues ou ces fausses valeurs se fera progressivement en Algérie à travers la lutte contre la mort et les maladies. Déjà, les familles algériennes ne cessent de donner leurs organes à leurs parents, frères et ses sœurs, etc. Des membres d'une même famille ont même commencé à donner par exemple leur reins entre eux pour sauver un être qui leur est cher». Pour conclure, le professeur Ahmed Nekhla estime qu'il est bien «de vouloir faire de la transplantation à partir des états de mort encéphalique, mais il y a encore beaucoup à faire dans la transplantation à partir du donneur vivant apparenté et non apparenté, qu'il ne faut pas délaisser».