D'abord, il y a eu les incertitudes toute l'année écoulée sur la pérennité du festival et son financement. Avec des questions légitimes, histoire de pimenter les débats : allait-il continuer ? Sous quelle forme ? Avec quelle équipe ? Aura-t-il les subventions nécessaires pour garder le même standing ? Ces interrogations avaient agité les milieux culturels de la ville. Mais lors de la conférence de presse du 6 octobre dernier, organisée conjointement par l'équipe du festival et la mairie de Montpellier, les différends ont été aplanis à partir du moment où le départ de l'ancien directeur de cette grande manifestation, le journaliste Jean François Bourgeot, avait été obtenu par le maire de la ville. Et, selon le président du festival, le 22 octobre aura lieu l'audition de sept candidats pour le poste de directeur. Le nouveau patron du festival aura la lourde tâche de donner au festival un retentissement international, c'est à dire de le rendre très visible en escomptant des retombées en termes de tourisme et d'image. Une question se pose : comment peut-on mesurer l'impact d'un festival à l'international ? Mais peut-être aussi était-il temps pour ce festival de se renouveler sans perdre son âme et son identité ancrées dans la Méditerranée. La 37e édition commencera le 24 octobre et prendra fin le 31. Quelques innovations ont été introduites. Avec 194 films au lieu de 250, il s'agit de réduire les coûts d'exploitation et de resserrer la programmation pour permettre aux cinéphiles de voir l'essentiel, en atténuant par la même occasion leur sentiment de frustration. Et, pour rester sur les bords de cette mer prodigieuse, c'est le réalisateur Tony Gatlif qui fera l'évènement en tant qu'invité d'honneur. Il faut rappeler qu'il est né à Alger le 10 septembre 1948, d'un père algérien et d'une mère gitane.Et que son vrai nom est Michel (Boualem) Dahmani. Son cinéma est placé sous le signe de l'engagement avec des thématiques qui restituent fidèlement l'univers des gitans et leur musique. Il y aura la projection de son film Exils qui se passe en Algérie, retraçant l'enfance de Tony, avec comme acteur principal, l'excellent Romain Duris. Ce film a obtenu le prix de la Mise en scène au festival de Cannes en 2004. Les spectateurs verront aussi Liberté, long métrage historique de 2012 qui parle d'un juste (joué par le chanteur humaniste Marc Lavoine), qui a sauvé un groupe de Tsiganes pendant la seconde guerre mondiale. En tout, dix films de Tony Gatlif seront projetés. Enfin pour clore cet hommage, les festivaliers seront conviés à un grand concert musical gitan dans la salle mythique du Rockstore. Autre présence algérienne avec le retour du réalisateur Farid Bentoumi qui avait fait sensation au Cinemed 2011 avec son court métrage, Brûleurs, ou comment des jeunes harraga filmaient leur traversée (voir son interview dans El Watan du 26 novembre 2011). Farid est un artiste complet, né en 1976 en France et ayant fait des études au Canada. Cette année pour la compétition, il arriver avec un long et un court métrage, ce qui est rare pour un réalisateur. Son long métrage s'intitule : Good luck Algeria. Le réalisateur s'est offert un casting de rêve avec Sami Bouajila et Chiara Mastroianni. Le film raconte l'histoire de Sam et Stéphane qui ont un atelier de fabrication de ski, et comme ils sont au bord de la faillite, pour sauver leur outil de travail, ils décident d'accomplir un exploit en qualifiant Sam aux jeux olympiques d'hiver sous les couleurs de l'Algérie, car son père est d'origine algérienne. L'autre film de Bentoumi, Un métier bien, avec Bellamine Abdelmalek et Oulaya Amamra, est l'histoire d'un bad-boy qui promet à sa mère de changer, soit de devenir «mec bien sous tout rapport» avec en plus, un métier valorisant. De son côté, le réalisateur Salem Brahimi propose à travers Maintenant, ils peuvent venir une adaptation à l'écran du roman d'Arezki Mellal, paru aux éditions Barzakh. Ce film nous plonge dans la tragédie algérienne des années 1990, avec le couple de Nouredine et Yasmine pris dans la tourmente de la terreur intégriste et des assassinats au quotidien. Produit par Costa Gavras et boudé par les distributeurs, ce film est interprété par Amazigh Kateb qui fait là ses premiers pas d'acteur et l'excellente Rachida Brakni qui revient au cinéma après différentes expériences au théâtre, notamment avec son compagnon, le grand footballeur Eric Cantona. Par ailleurs, Kamal Laiche propose un film dans la compétition du panorama où le jury est constitué par les spectateurs qui votent après chaque séance. Mista est un film de 2015, dont le synopsis est le suivant : «Mourad, un homme vivant dans un quartier populaire durant les années quatre-vingt-dix, est rattrapé par le destin à l'aube de ses cinquante ans. Livré depuis quelques années à la monotonie de son quotidien, sa vie est brusquement bouleversée par la rencontre d'un jeune homme qu'il a sauvé de la noyade. Grâce ou à cause de ce concours de circonstance, Mourad se retrouve engagé dans une aventure qui lui permet de réaliser un vieux rêve de jeunesse : devenir acteur de théâtre. Mourad tente de mener une vie décente et vivre sa passion, même si l'une et l'autre sont souvent compromises par le spectre de la menace terroriste qui sans être visible demeure néanmoins omniprésente”. Toujours pour la compétition officielle, il faut signaler la présence du cinéma palestinien qui arrive à chaque fois avec des thématiques innovantes et intéressantes, comme ça sera le cas cette année avec Dégradé d'Arab et Tarzan Abunasser. Le film a pour toile de fond le zoo de Ghaza où une famille mafieuse a décidé de voler le lion. S'ensuit une histoire rocambolesque. Le cinéma turc s'affiche aussi en force avec trois films en compétition. On y signale surtout Dolanma de Tunç Davut qui aborde avec un regard neuf les problèmes de succession dans les familles traditionnelles. On n'oubliera pas la compétition du court métrage qui propose vingt films venus de divers horizons. Véritable laboratoire pour futurs réalisateurs de longs métrages, on retiendra peut être de cette compétition Le dernier des céfrans de Pierre Emmanuel Urcun sur la difficulté de s'engager dans l'armée et El Matour de l'Egyptien Ahmed Ibrahim, sur la difficulté de rejoindre la mer pour certains habitants de l'intérieur de l'Egypte. Notons la continuation du water-project qui réunit des jeunes réalisateurs palestiniens et israéliens pour réaliser conjointement des films et amorcer ainsi un dialogue entre les deux parties, bien difficile en ces temps. L'autre compétition très attendue est celle des documentaires avec, cette année, une sélection très serrée, car ramenée à huit films au lieu de dix. L'on sera attentif dans cette catégorie au film de Raja Seddiki qui nous parle de la condition des femmes venues de l'Afrique sub-Saharienne pour vivre au Maroc dans une grande métropole comme Casablanca. Roshmia, de Salim Abu Jabal nous relate pour sa part, l'histoire d'une famille palestinienne priée de quitter sa demeure à cause de l'installation d'une colonie israélienne dans les environs. Enfin pour rester dans l'esprit du documentaire intime, la réalisatrice d'origine algérienne, Nadja Harek, proposera Ma Famille entre deux terres. Ce film à base de témoignages raconte une histoire familiale faite d'exil et de questionnements identitaires sur trois générations avec des va-et-vient entre la France et l'Algérie. Comme à son habitude, le festival reste un moment privilégié où le cinéma se déploie dans toute sa splendeur avec des rencontres et des expositions. Le public féru de cinéma maghrébin aura aussi l'occasion de converser avec le réalisateur Farid Bentoumi, de rencontrer l'actrice Rachida Brakni et l'acteur Taher Rahim, sans oublier le grand acteur Roschdy Zem qui aura l'honneur de présider le jury qui attribuera l'Antigone d'or.