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"L'Algérie me manque beaucoup..."
TONY GATLIF, REALISATEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 25 - 05 - 2014

«Je suis aussi d'Algérie! L'Algérie est là. Elle est présente dans mon coeur!»
Rien d'excitant cette année sur la Croisette, n'était des films pleurnichards qui se lamentent sur la déchéance de l'humanité tout en exhortant au changement qui tarde à pointer du nez. Le cinéma qui vous prend aux tripes a déserté cette année le tapis rouge à Cannes. Même les festivaliers en nombre impressionnant chaque année ont connu une baisse de fréquentation. Une certaine morosité ressentie par la plupart des festivaliers malgré le retour du beau temps. Et pourtant, heureusement que d'autres films, tel Géronimo de Tony Gatlif présenté hors compétition, nous ont permis de vibrer un peu et se réconcilier tout de même avec le 7e art, à l'instar de certains films de la section. «Un certain regard» qui sont de vraies pépites d'audace et de valeur cinématographiques. Et Géronimo fait partie de ces films hors catégorie dont on a pris un réel plaisir de plonger dans son univers... Rencontre avec le réalisateur, acteur et scénariste, père notamment de l'excellent long métrage Exils, sur la plage Le Goéland. Avec simplicité et un sourire généreux, Tony Gatlif, qui est né à Alger, nous ouvre son coeur..
L'Expression: Vous mettez en scène deux clans, une fille d'origine turque amoureuse d'un gitan. Est-ce une façon de dépeindre un Roméo et Juliette des temps modernes?
Tony Gatlif: pas forcément, à partir du moment où on parle d'amour interdit des jeunes, forcément on tombe dans Roméo et Juliette. L'amour interdit crée tout de suite une confrontation et des luttes entre deux familles.
Un des personnages, en s'adressant au jeune du film lui dit que ton grand-père lorsqu'il est arrivé ici, au pays, il a délaissé la tradition archaïque. Est-ce une façon aussi de dénoncer justement certaines traditions éculées pour parler de notion d'identité?
il s'agit de dénoncer certaines traditions dangereuses qui font mal aux femmes, oui. Les coutumes c'est très bien. C'est très important. Les coutumes, c'est l'identité. Il faut sauvegarder son identité. Il faut s'intégrer dans un pays, sinon il faut le quitter. Tous mes films ne parlent que de l'identité. Dans certains pays, les femmes sont victimes de crime d'honneur. Et le crime d'honneur c'est quelque chose que je ne défends pas. Ça ne me plait pas et je le rejette en bloc. Mon film est presque un hommage aux femmes de la Méditerranée.
Parlant d'identité encore, vous êtes de père kabyle et de mère gitane. Une question que des amis algériens ont tenu à ce que je vous la pose. Pourquoi vous intéressez-vous davantage à la culture gitane au détriment de votre autre culture algérienne et kabyle?
J'ai quitté Alger en 1960 ou 1962. j'ai complètement oublié la langue arabe. J'en suis très malheureux; j'avais 13 ans. Hier, il y avait Rachid Taha qui voulait absolument que je chante avec lui Ya rayeh mais je ne pouvais pas, car j'ai oublié l'arabe et j'étais très triste de ne pas chanter avec lui. Quand je suis arrivé en France, j'ai été immédiatement dans la communauté gitane. Ceux qui étaient maltraités étaient les gitans avec les Maghrébins.
Aujourd'hui, avec ce qui se passe en France et la stigmatisation des Roms, vos films prennent une tournure plus subversive, croyons-nous. Vous pensez quoi, justement, de ce qui leur arrive actuellement?
C'est très triste parce que, ce que vivent les gitans émigrés ici en France, je parle des tziganes, les Roms, c'est comme s'ils se retrouvaient entre le marteau et l'enclume. Le marteau c'est vraiment la communauté qui vit dans la misère et c'est très facile de manipuler des gens qui vivent dans la misère et de faire d'eux de mauvaises personnes, des voleurs, des gens qui font du mal autour de soi. Ce ne sont pas tous les gitans heureusement. Ceux qui sont pris sont manipulés par cette mafia qu'on appelle les boulibacha. Ce boulibacha oblige un gamin à aller mendier et une maman avec son bébé d'aller mendier. Ils font mal à la communauté internationale gitane. Et l'enclume c'est la société, l'Europe. Elle ne fait rien pour améliorer les conditions de ces gens et en même temps elle les rejette. Les voleurs ce ne sont pas tous les Roms. Je n'aime pas cet amalgame qu'on fait sur les gitans.
C'est un peu le cas dans votre film quand vous dépeignez la situation de ces jeunes désoeuvrés qui, au lieu de s'occuper de s'en sortir, font du mal à autrui avec cette vendetta...
Voilà, c'est ça. Forcément. Quand on est mal parce que la société est malade. Il y a la crise on sait.
Quand on ne donne pas d'avenir aux jeunes, forcément ils cherchent à faire quelque chose. Quand ils se retrouvent dans une situation comme dans le film, tout de suite, ils plongent dedans. Ou alors ils sortent cette vieille tradition que les grands-pères ont rejetée.
Quel est votre rapport à la culture gitane bien fusionnelle au demeurant? Mis à part que c'est dans le sang...
Attention, je suis aussi d'Algérie! L'Algérie est là. Elle est présente dans mon coeur. J'écoute toujours de la musique algérienne. Avec mes frères, je parle de l'Algérie. C'est difficile de revenir. Je n'ai pas assez le temps. Mais j'aimerai beaucoup.
Sur le plan esthétique, dès la première image de votre film on est pris dans un souffle d'énergie terrible, la musique est forte, omniprésente comme pour souligner cet aura dramatique qui se déroule sous nos yeux. Pourquoi tout ce foisonnement de chant, de musique et de danse?
Il y a de la musique turque aussi. Quand on raconte une histoire comme cela, elle est forcément violente. Ce sont des gens issus de familles qui se font la guerre. Je ne voulais absolument pas filmer la violence. Je déteste la violence. Quand on la filme, forcément on l'embellit. Pour la traduire, il fallait passer par la musique et celle-là est violente.
Il y a une chanson très belle, presque mystique, qui s'élevait parfois comme pour illustrer un recueillement..
Celui qui a signé cette chanson est mon fils Valentin. Il n'a pas voulu la traduire, car il a estimé que musicalement elle était bien. Il parle à la Sainte Marie en lui demandant pourquoi tu t'occupes toujours des mêmes et pas des autres. Voilà de quoi raconte cette chanson.
Vous n'oubliez pas en tout cas vos origines algériennes, puisque vous avez fait appel à de nombreux comédiens algériens ou d'origine algérienne en tout cas...
Tous mes petits personnages sont algériens ou d'origine kabyle. Ils sont superbes. Je sais qu'ils sont là.
J'ai l'impression que c'est le film le plus abouti. On a comme le sentiment que vous avez mis l'accent beaucoup plus sur l'aspect esthétique ou je me trompe?
Surtout sur l'aspect humain. Je tiens à ce que tous mes films aient cet aspect humain et défendent les opprimés, les damnés de la terre et les clandestins en font partie. Tout comme certains de mes personnages.
Quelles sont vos références cinématographiques, le cinéma qui fait rêver Tony Gatlif?
J'aime bien Le Charbonnier de Bouamari. Je l'ai vu quand j'étais comédien de théâtre à Paris. J'aime aussi le cinéma égyptien de Youssef Chahine..
Et le cinéma algérien?
Je ne le connais pas hélas, pas celui d'aujourd'hui en tout cas. J'aimerai beaucoup le connaître. Mais dès qu'il y a un film algérien je le vois. J'ai vu Omar Gatlatou de Merzak Allouache, je connais ses films, Abdelkrim Bahloul aussi qui est un copain, Karim Dridi que j'aime beaucoup. Tu sais, nous sommes une bande presque comme dans une communauté même si on ne mange pas quasiment tous les jours ensemble, même si on ne se connaît pratiquement pas non plus, mais moi je les connais parfaitement. Je vois leurs films surtout. Je suis content qu'ils fassent du cinéma. L'Algérie me manque. Quand j'ai fait Exils je suis parti là-bas. Je n'y était pas retourné depuis 43 ans. J'étais à Alger pendant la période du tremblement de terre. J'ai culpabilisé de ne pas y être revenu. Quand je suis retourné, j'ai pris conscience d'une chose, que ce n'est pas vous qui oubliez le pays mais c'est le pays qui vous oublie. Vous ne retrouvez rien, même pas la route. Je voulais aller à Bordj El Kiffan (ex: Fort-de-l'eau) je n'ai pas pu. C'était impossible de retrouver la voie. Psychologiquement c'est très fort.
Parlez-nous un peu de votre comédienne Céline Salette qui joue Géronimo et de votre rencontre avec elle.
Elle est très forte et elle incarne vraiment la femme moderne. Je n'avais pas de casting, quand j'avais écrit le scénario je n'avais pas envie de le tourner. J'avais un peu d'argent pour le tourner, mais pas envie de le filmer. Je ne le sentais pas. J'ai commencé à réécrire le scénario, il y avait des scènes qui me gênaient. En fait, la raison évidente est parce que je ne trouvais pas mon personnage et quand j'ai rencontré Céline, je l'ai regardée et tout de suite, j'ai eu envie de la filmer. Dans sa façon d'être, son regard, je voyais son âme. C'est une fille formidable, elle est dépourvue de méchanceté, c'est une personne qui défend les autres même dans la vie. Elle ressemble vraiment à son personnage. En la voyant je me suis dit tout à coup, ça y est, j'ai le film. Car c'est l'acteur qui est le représentant d'un film.
Le film turc Winter Sleep remporte la Palme d'or 2014
La Palme d'or du Festival de Cannes a été attribuée hier à Winter Sleep du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, longue dissection psychologique d'un sexagénaire qui règne en maître sur un village d'Anatolie. «Cette année, c'est la centième année du cinéma turc, c'est une très belle coincidence», a dit le réalisateur.
Le Grand Prix du 67e Festival de Cannes a été attribué à Le meraviglie (Les merveilles), seul film italien de la sélection officielle, réalisé par Alice Rohrwacher. Le film décrit comment l'irruption d'un jeune délinquant et d'une émission télévisée changent la vie d'un couple d'apiculteurs en quête de pureté, vivant avec ses quatre filles en marge de la société.


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