L'exposition Aswat à la nouba, organisée par le département du patrimoine immatériel et arts vivants de la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015" à la maison de la culture Malek Haddad, invite au voyage à travers l'histoire riche de la musique arabe. C'est une suite logique de l'exposition sur la nouba organisée à la faveur de Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011. Une exposition présentée également à Alger et à Constantine, englobant les trois écoles algériennes de la musique arabo-andalouse. «Dans ''Aswat à la nouba'', on s'est élargi à la musique arabe, à commencer par le Maghreb. C'est donc une évolution de l'exposition de 2011», a précisé Saléha Larab, qui a conçu et scénarisé l'exposition avec Djillali Aïchoune (directeur artistique). Halima Ali Khodja, responsable du département patrimoine immatériel et arts vivants de la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015", a indiqué que l'histoire de la musique arabe ne commence pas avec les premiers Maqamat d'Irak, mais bien avant. «Au Hidjaz avec la poésie de Huda' et le rythme du pas du chameau, le son du vent et du sable, et plus tard la récitation du Coran et l'appel à la prière. Donc, les Aswat (voix) marquent le début de la tradition musicale arabe à partir de Médine», a-t-elle dit. «Il nous fallait plonger dans l'histoire de la musique arabe. On s'est rendu compte que cette histoire est peu connue. Après des recherches, il était important de raconter cette histoire à travers le temps et expliquer les fondements de l'évolution pour arriver au stade de la musique qu'on écoute aujourd'hui», a souligné Djillali Aïchoune. Il a relevé le caractère interactif de l'exposition avec le recours à des supports multimédia. Les visiteurs sont audioguidés à travers onze espaces. Cette technique est rarement utilisée dans les expositions en Algérie. La scénographie contemporaine (conçue avec Mohamed El Hadi Dahmoun) et la conception graphique (de Nino Djillali) invite à découvrir les photos, les vidéos, les textes, les partitions et les instruments de musique dans des espaces de couleurs différentes. «Nous avons évité d'organiser une exposition didactique, difficile d'accès pour le public, avons fait en sorte que l'exposition "parle" directement aux visiteurs de toutes générations, car on s'est rendu compte que les gens avaient parfois des difficultés à lire de grands panneaux. Visiter et circuler en écoutant est la meilleure formule pour apprécier une exposition», a noté Djillali Aïchoune. On remonte donc jusqu'à six siècles avant l'avènement de l'islam, avec le Huda' qui est un des premiers types de chants de la péninsule Arabique basé sur la poésie bédouine. Le Huda est réglé sur le rythme du balancement du dromadaire. On le compara plus tard au nawh (lamentation). Une mélodie des plus simples, dégageant un fort sentiment nostalgique.
Des chants similaires, dits de l'abreuvoir, mettent l'accent sur le miracle de l'eau. Le Khabab au rythme primitif, plus rapide, assimilé au trot du cheval. D'autres genres musicaux collectifs se développent dans le Hidjaz. Ils sont pratiqués lors des pèlerinages et des soirées festives. Ce sont des mélodies formées sur des vers improvisés, en marquant le rythme avec les mains ou des percussions», est-il précisé dans le catalogue de l'exposition. La poésie était un art majeur dans le Hidjaz. D'où l'épanouissement rapide de la musique servie par une poésie «composée à la manière d'une sonate». Souk Okadh, à La Mecque, était le rendez- vous annuels de tous les poètes. Les Mouallaqate, qui étaient écrites en lettres, sont nées dans cet endroit mythique. Grâce à Nadhar Ibn Al Harrith, l'art du oud était connu par les habitants de La Mecque. Au Yémen, plus au sud, les Lakhmides et Ghassanides, qui se passionnaient pour la musique, faisaient appel à des poètes déjà célèbres en cette période préislamique, comme Nabigha Dhubyani. Les Qaynat, les esclaves musiciennes, avaient également grandement contribué à l'épanouissement musical dans le Hidjaz. "Les tavernes, grandes demeures de notables ou palais de souverains, ont abrité les joutes des Djarrada de Add, Moulaïka Bint Afzar ou Houraira. Elles savaient se mettre en valeur, s'habillaient avec goût et maîtrisaient le maniement des instruments de même que l'art vocal" , est-il encore précisé. Les Qaynat connaissaient parfaitement la poésie. Après 622, Médine, devenue capitale musulmane, était le lieu de rencontre d'artistes, de poètes, de musiciens venus de partout d'Asie, d'Asie Mineure et d'Afrique. A cette époque, l'Aswat allait s'imposer comme premier style musical de l'histoire arabo-musulmane grâce notamment à Abou Abad Maâbaad Ben Wahb. A Médine, et puis plus tard dans d'autres cités, la poésie bédouine servira de «matière première» pour la composition du chant. Il fallait surmonter la difficulté de trouver un équilibre entre le texte et la mélodie. Les historiens évoquent souvent la théorie de Nashit Al Farissi, dite de «Al ghina al mutqan» (le chant maîtrisé). A Damas, puis à Baghad, la musique arabe connaissait un véritable âge d'or. Le calife Mouawiya a toléré les chants en public, alors que Yazid 1er fut le premier souverain musulman à avoir introduit les musiciens et les interprètes dans sa cour. Un voile fin séparait les artistes de la famille royale. Les grands commerçants de Damas avaient également aidé à l'essor musical de l'époque Omeyyade. A Baghad, Al Mawssili (742-804), sous le règne des Abassides, relançait de plus belle le chant et la composition musicale, débarrassée des lourdeurs de la tradition hidjazie. Il avait créé le premier conservatoire du monde arabo-musulman, où étaient enseignés la diction, la poésie, le chant et le jeu de luth. Al Mawssili avait perfectionné le système modal et rythmique. «On lui attribue pas moins de 900 mélodies, dont 300 chefs-d'œuvre. Pour toutes ces raisons, il est considéré, comme le père du classicisme musical arabe», précise-t-on. A Baït El Hikma (la maison de la sagesse), fondée par Al Maâmoun (813-833), les traductions des textes grecs avait permis d'acquérir un certain savoir, puisque la musique était devenue une véritable science à l'époque abasside. «La musique était considérée comme science au même titre que les mathématiques et l'astronomie. C'était un grand tournant», a noté Djillali Aïchoune. Les mélodies persanes et indiennes enrichissaient le chant arabe. Le poète, compositeur et musicien Ishaq Al Mawssili, avait continué l'œuvre de son père en perfectionnant le jeu de l'oud (luth) et en améliorant le système tonal et modal. «Il adapte le luth à la théorie d'Euclide sur l'échelle musicale, établit une nomenclature serrée des genres déterminée sur la tablature du luth et fixe ainsi le système des futurs maqâms», est-il encore indiqué. «L'introduction du oud va donner musicalement les différents modes à la culture arabe», a relevé Djillali Aïchoune. L'âge andalou La musique arabe devait connaître un second âge d'or en Andalousie puis au Maghreb après 711 et la conquête de Cordoue. Le roi Abderrahmane II (822-852) donnait une grande impulsion à l'art musical après avoir ouvert un pavillon aux chanteuses pratiquant le chant de Médine (Qaynate). Ziryab, venu de Baghdad, allait révolutionner la musique arabo-musulmane au IXe siècle en créant une école à Cordoue et en introduisant l'oud en Andalousie. Ziryab, Hassan Ali Ibn Nafi de son vrai nom, avait, à l'étonnement général, ajouté une cinquième corde à l'oud et développé le jeu du plectre (al richa). D'autres grands noms avaient contribué au développement de la musique arabe, comme Ibn Badja ou Abou Bakr Ben Sayegh que les Occidentaux avaient appellé Avempace. Philosophe, astronome, géomètre et poète, Ibn Badja avait composé des musiques, contribué à l'introduction de la musique classique andalouse au Maghreb et écrit un ouvrage célèbre, Traité des mélodies. Ben Rafaa Ra'çah, Ibn Baki et Ibn Zeydoun avaient, eux, laissé beaucoup de poèmes lyriques, des Mouawchah et Zadjel. Une grande partie de l'exposition est consacrée aux écoles musicales du Maghreb. Pour l'Algérie, il s'agit de l'école d'Alger, avec ses maîtres comme Abderrahmane Mnemèche, Mohamed Benali Sfindja, Mahmoud Oulid Sidi Saïd, Maâlma Yamna, Mohamed Fakhardji, Sadeq El Bedjaoui et Ahmed Serri. Il y a aussi l'école de Tlemcen avec ses maîtres aussi, comme Menouar Benattou, les frères Dib, Maâlem Medioni, Omar Bakhchi, Larbi et Redouane Bensari, Cheikha Tetma et Abdelkrim Dali. «On finit l'exposition par Constantine et le rapport qu'elle a avec la musique arabe et en particulier avec le malouf. On montre les artistes-clés de cette musique à partir du début du XIXe siècle en valorisant tout ce qu'ils ont fait pour développer et transmettre cette musique. C'est grâce à leur travail que les jeunes d'aujourd'hui connaissent le malouf, le mahdjouz et autres musiques de Constantine», a souligné Djillali Aïchoun. Les bouyout et les f'nadeq de Constantine avaient sauvegardé le malouf avec des maîtres comme Cheikh Hassouna Ali Khodja, Omar Cheklab, Tahar Benkertoussa, Kaddour Darsouni, Abdelkrim Benelmoufok et Mohamed Tahar Fergani. Annaba a eu aussi ses maîtres du malouf, comme Hassan El Annabi ou M'Hamed El Kourd. Le congrès du Caire «Le congrès du Caire, en 1932, était un moment important dans l'histoire contemporaine de la musique arabe. A partir de cette date, commençait la collecte des informations, des archives et des sources de la musique arabe. Des universitaires entamaient également une réflexion sur cette musique pour faire quelque chose de mondialement reconnu», a relevé Djillali Aïchoun. Cheikh Larbi Bensari et son fils Redouane avaient représenté l'Algérie à ce congrès. Dans le premier espace de l'exposition, les visiteurs sont invités à écouter, lire ou voir des sons, des textes, des vidéos sur les icônes de la musique arabe : Mohamed Tahar Fergani(Algérie), Tahar Gherssa (Tunisie), Abdelwahab Doukali (Maroc), Oum Keltoum (Egypte), Warda El Djazaïria (Algérie, Egypte), Faïrouz (Liban), Sabah Fakhri (Syrie), Mounir Bachir (Irak), Wadie Al Safi (Liban), Mohamed Abdoh (Arabie Saoudite), Mohamed Abdelwahab (Egypte)…«Nous avons retenu tous les artistes les plus importants de la musique arabe contemporaine à partir des années 1950 et jusqu'aux années 1980. C'est espace où l'on retrouve des archives d'époque et où l'on retrace leur biographie et leurs parcours respectifs. Ces chanteurs ont amené la musique arabe au sommet. C'est une génération exceptionnelle d'artistes née durant la première moitié du XXe siècle. On a repris certains films en noir et blanc qu'on a remontés pour revenir sur leur parcours», a expliqué Djillali Aïchoune soulignant l'effort des artistes des XVIIIe et XIXe siècles. Dommage que Hadj M'Hamed El Anka, Khelifi Ahmed, Rabah Derriassa, Fadéla Dziria, Cheb Khaled pour l'Algérie ne soient pas présents parmi ces icônes. Autant que Ali Riahi ou El Hadi Jouini pour la Tunisie, Abdelhadi Belkheyat et Hadja Hamdaouia pour le Maroc, Maâlouma pour la Mauritanie, Nadhem El Ghazali pour l'Irak, Fahd Ballan pour la Syrie, Talal Medah pour l'Arabie Saoudite, Abdelhalim Hafez et Farid El Atrache pour l'Egypte, Abdelkrim Abdelkader pour le Koweït ou Salah Ben El Badia du Soudan. Il fallait peut être laisser plus d'espace pour les icônes de la musique arabe. «Notre choix n'est pas exhaustif. Nous avons favorisé les chanteurs et grands ténors qui ont passionné les publics de la région arabe sur plusieurs générations», est-il indiqué par les organisateurs. Dans le catalogue de l'exposition, il est précisé que ces artistes ont, chacun à sa manière, géré la rupture d'avec la tradition séculaire pour «donner à leur patrimoine la chance de passer à la postérité dans les meilleures voies». Halima Ali Khodja, fille de Cheikh Hassouna, a indiqué que l'idée de l'exposition était de raconter l'histoire de la musique arabe en insérant celle du malouf, mais également le sama'a. «La musique spirituelle est présente dans les zaouia de Constantine et ailleurs en Algérie. Il existe des livres, des manuscrits, des diwans, m'dih et poésie, tout cela doit être expliqué et présenté au public. Les textes sont interprétés différemment en Algérie. Nous avons choisi trois modèles : Hansala, Rahmania et Aïssaoua. Les familles constantinoises ont gardé certaines traditions dans la pratique musicale et poétique, dans l'habillement, dans l'art culinaire, voire dans le savoir-vivre. Tout cela doit être sauvegardé, surtout que l'artisanat a un rapport avec cet héritage culturel», a-t-elle soutenu.