La carte géopolitique au Liban est en train de changer de manière fondamentale, mais toujours est-il que rien n'est définitif, et seule la symbolique est forte. Il s'agit de l'exercice par l'Etat libanais de sa souveraineté sur toute l'étendue de son territoire. La question a toujours été soulevée, mais la réponse constamment repoussée pour des raisons évidentes. Il s'agit de la guerre civile (1975-1990) qui a privé l'Etat libanais des instruments de sa souveraineté, ceux-ci étant accaparés par les milices qui se faisaient alors la guerre. C'est ensuite l'occupation israélienne qui attend d'être achevée, et sans cesse mise en avant par les différentes autorités libanaises pour lesquelles il n'était absolument pas question de garder les frontières pour Israël alors que celui-ci occupe le territoire libanais. Mais depuis hier, et dira-t-on sans garantie de restitution de la dernière portion de territoire libanais encore occupé — les Fermes de Chabaâ —, l'armée libanaise a pris sur elle l'application de la résolution 1701 d'août dernier stipulant l'extension de la souveraineté de l'Etat libanais sur toute l'étendue de son territoire. Mais c'est en même temps une grande première, puisque pour la première fois depuis près de 40 ans, l'armée libanaise a pris position hier sur la frontière avec Israël. Ce qui constitue en soi un autre défi puisque ce déploiement intervient au lendemain d'un discours enflammé du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah qui a refusé de se séparer de son arsenal. Des blindés et des unités d'infanterie de l'armée libanaise se sont installés dans cinq positions sur la ligne bleue, qui marque depuis 2000 la frontière entre les deux Etats, dans une région théâtre de nombreux conflits. En outre, ce déploiement intervient alors que l'armée israélienne prépare son retrait définitif de cette région qu'elle avait envahie le 12 juillet dernier. Epaulés par des Casques bleus de l'ONU, quelque 400 militaires libanais se sont installés à Ras Naqoura sur la côte, au sud de Sour, et à Labbouné à 3 km plus à l'est. Ils se sont ensuite déployés en trois autres points du secteur central de la frontière. La première position israélienne se trouve à une centaine de mètres, de l'autre côté de la clôture séparant les deux pays, le long de la ligne tracée par l'ONU après le retrait israélien en mai 2000 de cette région que l'Etat hébreu avait occupée pendant 22 ans. Les unités libanaises ont commencé à prendre pied au Liban-sud après l'instauration le 14 août d'un cessez-le-feu entre l'armée israélienne et le Hezbollah, mais leurs nouvelles positions dans la région étaient jusque-là à distance de la frontière. Dans le même temps, les renforts de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), dont les effectifs ont atteint le seuil des 5000, exigé par Israël pour se retirer, ont poursuivi leur installation entre la frontière et le fleuve Litani. Selon l'agence officielle d'information libanaise ANI, une vedette de la marine libanaise a accosté hier pour la première fois depuis plus de 35 ans dans le port de Naqoura et va patrouiller le long de la côte entre Naqoura et Sour. Ce déploiement demeurera-t-il symbolique, ou encore servira-t-il à entériner un fait accompli, celui d'une frontière tracée au gré des occupations israéliennes, donc sans caractère définitif ? Ce qui revient à alimenter l'opposition libanaise et sa résistance qui pourraient tourner leurs armes contre cette armée. Vendredi, prenant la parole dans la banlieue sud de Beyrouth devant une immense foule de partisans, le chef du Hezbollah a refusé de renoncer à l'arsenal de sa formation tant que l'Etat libanais ne pourra pas défendre selon lui le pays face à Israël et a assuré que son parti détenait encore 20 000 roquettes. Le chef du Hezbollah, dont deux représentants siègent au gouvernement, a répété son exigence de la formation d'un gouvernement d'union nationale, avec une représentation plus forte des forces d'opposition. Le Premier ministre libanais Fouad Siniora a jugé « constructif » son discours. Il y a effectivement une suite dans ce discours inévitablement soumis au traitement à la carte. Chaque partie y voit ce qu'elle veut comme l'arsenal qu'il a lui-même évoqué, ou encore son refus de s'en défaire. Ce sont là tous les défis auxquels l'Etat libanais fait face, avec cette appréhension encore forte qu'il pourrait être piégé pour appliquer de manière unilatérale, cette fameuse résolution.