Cinquante-huit ans après son lâche assassinat, Abane Ramdane, chef de la Révolution, continue de déranger les héritiers de ceux qui ont commis le crime. Il est leur mauvaise conscience. L'esprit, le parcours et le rôle de l'un des architectes de la lutte de Libération nationale continuent de hanter la mémoire nationale. Après le mensonge qui a couvert sa liquidation par ses «frères» de combat, l'homme fait, en permanence, l'objet d'attaques, de persécution allant parfois jusqu'à justifier perfidement son élimination physique. Un acte qui demeure une tache sombre dans l'histoire contemporaine de l'Algérie. Combien de faux procès n'a-t-on pas faits à celui qui avait donné un sens politique historique à la Révolution ? A chaque fois que sa mémoire est évoquée par les tenants de l'ordre autoritaire qui s'est mis en place dès 1962 c'est pour le conduire aussitôt devant le tribunal de l'antinationalisme. L'ancien ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, qui se réclame de la partie sombre de ce qui était le MALG en a donné la démonstration. Et s'il estime que ses propos ont été «mal traduits», il trahit une pensée dominante chez les pourfendeurs des thèses du Congrès de la Soummam. Il y a comme une gêne historique chez les adversaires de Abane Ramdane. Au point d'éprouver le besoin, à chaque fois, de venir devant l'opinion nationale réinventer un récit de la Révolution pouvant justifier un assassinat abominable et, par ricochet, dédouaner, innocenter et laver les bourreaux de leur crime. C'est une entreprise de destruction de la part la plus vivante de la mémoire collective qui se poursuit depuis les premiers jours de l'indépendance. Manifestement, Daho Ould Kablia et ce qu'il incarne comme courant ne retient de la Révolution que les intrigues, les basses manœuvres pour en faire un élément central dans leur analyse de l'histoire devant conduire à justifier la mise à mort d'un projet politique et ceux qui le portaient. Dédouaner Les Assassins Il aurait été utile pour lui de relire Hocine Aït Ahmed pour apprécier à sa juste valeur le rôle décisif de Abane dans le triomphe de la Révolution. A l'occasion, le directeur du Al Huffington Post, a déterré une vieille interview de l'ancien dirigeant de l'Organisation spéciale, dans laquelle il assurait : «Ayant longtemps assumé des responsabilités, d'abord au sein de l'organisation clandestine du PPA, et ensuite à la tête de l'OS pour la région de Sétif, Ramdane était un véritable animal politique et un organisateur expérimenté.» Daho Ould Kablia sait plus que beaucoup d'autres comment Abane Ramdane a été étranglé par son mentor Abdelhafid Boussouf. Le Beria de la Révolution. Pourquoi alors cette obsession à vouloir trouver des circonstances atténuantes à l'assassinat ? «Le crime était tellement monstrueux que les camarades, les élèves et les descendants de Boussouf essayent de dédouaner les auteurs d'un acte le plus sale, le plus monstrueux de la Révolution», résume Khalfa Mammeri, auteur entre autres, de Abane, le faux procès. Comme si l'assassinat de Abane, de Krim, de Khider, le bannissement de l'histoire officielle et de la mémoire nationale durant de longues années des artisans de l'indépendance, à commencer par Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Bella, Abbas et combien d'autres n'étaient pas suffisants. En infligeant un sort terrible aux hommes d'une telle trempe, c'est porter un autre coup à l'esprit même de l'indépendance. C'est assassiner l'idée même de la Révolution. Il est évident que les idées qui ont présidé au déclenchement de la lutte de Libération nationale ne sont pas celles qui ont triomphé le 5 juillet 1962. «L'indépendance a été confisquée» comme l'avait implacablement résumé Ferhat Abbas dans son livre, où il retrace le hold-up de l'histoire. En somme, vivant ou mort Abane dérange. Ceux qui l'ont éliminé ne l'ont pas tué. Il vit toujours. Il est entré au panthéon de l'histoire nationale rejoindre les grandes figures d'une histoire plusieurs fois millénaire.