Le ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, a lancé un pavé dans la mare hier en dévoilant le secret d'une des tares de notre système économique qui permet de saigner l'Algérie avec un trafic à grande échelle de transfert de devises. Pas moins de 20 milliards de dollars, soit l'équivalent de 30% du montant des importations des biens et services, sont transférés annuellement à l'étranger, via le circuit bancaire, par le moyen répréhensible de la surfacturation. Le ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, a employé l'arithmétique pour dire toute l'ampleur des transferts illicites de devises annuels. Selon lui, l'écart entre la facture des importations et leur valeur réelle dégage un différentiel de 30%, ce qui correspond au montant annuel des transferts illicites de capitaux vers l'étranger par le moyen de la surfacturation. En décodé, la majoration de la facture des importations coûte à l'Etat 20 milliards de dollars par an, transférés illégalement, mais par le canal bancaire. Bakhti Belaïb estime que le phénomène a pris une dimension inquiétante, tout comme le taux de «délinquance» dans la sphère marchande. «Ce sont souvent les nationaux qui sont impliqués dans ces transferts ; des gens qui ont créé des sociétés écran ; finalement, ce sont eux-mêmes qui déterminent les prix des vendeurs et des acheteurs en même temps», tente-t-il de décrypter les origines d'un mal trop bien ancré dans les mœurs économiques algériennes. Le ministre du Commerce, qui semble avoir la langue bien pendue, a pointé du doigt les importateurs algériens, épargnant le châtiment aux capitaux privés étrangers. «Le phénomène des transferts illicites est un fléau que connaissent quasiment tous les pays en développement. Généralement, on rend responsables de ces transferts illicites les entreprises étrangères. Sauf que chez nous, les entreprises étrangères sont moins impliquées dans ces transferts», souligne le ministre, comme s'il était saisi subito presto d'un besoin pressant de faire appel à la précision. Les statistiques de Bakhti Belaïb constituaient les meilleurs arguments de certains partis de l'opposition qui, s'en servant, dénonçaient la perversion des mœurs économiques. En effet, au mois de février dernier, Ali Benflis, ancien candidat à l'élection présidentielle de 2014, avait lancé un pavé dans la mare en évaluant à 20 milliards de dollars le coût de la fraude dans les importations. «Les importations ont atteint le montant record de 60 milliards de dollars à cause d'un véritable crime économique, en l'occurrence la fraude dans les opérations de commerce extérieur sous toutes ses formes qui aurait atteint le seuil de 30%», avait-il indiqué. Délinquance et perversion Bakhti Belaïb ne fait qu'apporter de l'eau au moulin d'un Ali Benflis que l'on a traité de schizophrène. Venant cette fois d'un officiel, dont la mission première est d'en découdre avec les contrevenants, sa position contraste clairement avec l'inaction du gouvernement qui, à coups de restrictions bancaires et administratives, peine à inverser la courbe des importations et des fléaux qui y gravitent autour. La facture a baissé d'à peine 4 milliards de dollars durant les neuf premiers mois de l'année comparée à la même période de 2014. Les importations se sont chiffrées à 39,19 milliards de dollars de janvier à fin septembre 2015, contre 44,2 à la même période de l'exercice écoulé. Le ministre du Commerce, qui s'agace de la tournure alarmante qu'a pris le fléau de la surfacturation, précise néanmoins que son franc-parler ne signifie aucunement «une diabolisation» du métier et de la fonction d'importation. Mais il semblait bien décidé à pousser le constat au plus loin, relatant des crimes non moins nocifs dont souffre l'économie, liés notamment à la fraude et à l'évasion fiscale. «Dans la sphère marchande en général, le taux de délinquance est très élevé ; durant le premier semestre 2015, il a été relevé plus de 24 000 constats d'infraction, plus de 40 milliards de chiffre d'affaires dissimulé, 24 000 tonnes de marchandises ne répondant pas aux normes bloquées aux frontières et une centaine d'importateurs indélicats poursuivis en justice», fait-il constater. Et là non plus, il ne se prive pas d'égratigner l'Exécutif qui n'en finit pas de multiplier les actions de séduction au profit des mauvais contribuables. Le ministre du Commerce a plaidé, par la même occasion, pour que l'on en finisse avec le crédoc, un mode de paiement des importations qui, selon lui, ne sert pas l'intérêt du pays. «Je suis un militant pour le démantèlement le plus rapide de ce mode de paiement. Si je prends cette position, c'est que je ne suis pas en rébellion contre mon Premier ministre», dit-il. Une flèche décochée plutôt à l'adresse d'un Ahmed Ouyahia qui, en 2009, sous de pareils cieux de crise, avait décidé d'instituer le crédoc comme moyen de paiement des importations.