Des documents retraçant l'histoire de la presse algérienne du début de la guerre de Libération et de période post-indépendance ont été exposés à l'initiative de l'Etablissement Arts et Culture au centre culturel Mustapha Kateb, à Alger-Centre. Le mérite de monter cette exposition revient à Youcef Ferhi. Grand connaisseur des médias et auteur d'un témoignage sur les débuts de la presse, Ferhi a décidé de faire connaître au grand public des archives qui ne sont disponibles nulle part, les pouvoirs publics n'ayant pas encore décidé de répertorier ce fonds et de lui consacrer un musée. Bon pied, bon œil, Ferhi affirme que sa collection, composée de numéros de journaux rares, de recueils de textes du CCE, du GPRA et de l'UGEMA, et de tracts du Malg, ont été collectés avec l'intention de les faire connaître un jour. «J'ai décidé à cette époque-là de garder des documents, en pensant que plus tard il sera possible de les faire connaître du public», raconte-t-il. Presque nonagénaire, l'ancien journaliste raconte, avec force détails, son apprentissage du métier sur le tas, son long compagnonnage avec des journalistes dont certains ont disparu, mais surtout les détails sur la production des journaux d'époque exposés. Ferhi fait ainsi connaître le n°1 de Résistance algérienne (El Moukawama el djazaïria) imprimé en 1956 par des ouvriers espagnols à Tetouan, au Maroc. Le visiteur avait eu le loisir de voir les éditions d'El Moudjahid dont les six numéros paraîtront sans discontinuer à Alger de juin 1956 à janvier 1957. Ronéotypé à la veille de la grève des huit jours en février 1957, le n°7 sera saisi et les moyens d'impression installés dans des locaux à Bab El Oued, précise Ferhi, seront détruits par les parachutistes. Les membres du Comité de coordination et d'exécution (CCE) seront contraints à l'exil et El Moudjahid, dirigé par Abane Ramdane, reparaîtra à Tétouan le 5 août 1957 (n° 8), puis à Tunis, à partir du n° 11, daté du 1er novembre 1957. Le collectionneur fait également connaître des «faux» d'El Moudjahid réalisés par les services psychologiques du 5e Bureau de l'armée coloniale. A l'indépendance, El Moudjahid, ramené par les cadres de l'extérieur dans leurs bagages, ne sera tiré sur le territoire national que le 12 juillet 1962 par l'imprimeur Mauguin, à Blida. «Ahmimed» perd son sang-froid ! Le collectionneur a un rapport plus personnel avec ses documents de l'après-guerre. Lancé le 12 septembre 1962 avec une équipe qu'il a rejoint au début, Echaâb est le premier quotidien national à rejoindre sur les étals des buralistes Alger Républicain, journal communiste toléré par le nouveau régime de Ben Bella. D'autres publications, consultables, avaient été lancées à cette époque agitée, Révolution africaine, la revue El Djeich, et un quotidien du soir édité après le congrès du FLN d'avril 1964 : Alger-ce soir. Lancé par Serge Michel, dans la foulée d'une session de formation au profit des journalistes au centre familial de Ben Aknoun, le quotidien «a été une belle expérience». Ferhi, qui a tôt fait de prendre les manettes de quotidien, avait-il la liberté du ton voulue ? La rédaction d'un article critique sur la construction du futur hôtel El Aurassi a fait réagir violemment Ahmimed (Ben Bella), qui emploiera, s'étonne-t-il toujours, des mots obscènes à l'endroit du rédacteur effronté. Ferhi a indiqué que la disparition de l'organe n'est pas due à une photo montrant le visage buriné du ministre Bachir Boumaâza, ni même à l'inclinaison «supposément gauchiste» de l'équipe de rédacteurs tous jeunes, mais à la publication d'un article sur une réunion des frais émoulus membres du Conseil de la Révolution avec les députés de l'Assemblée nationale acquise au raïs déchu, Ahmed Ben Bella. Ayant quelques mois après pris la direction d'Algérie Actualité, fondé en octobre 1965, Ferhi affirme avoir fait les frais d'une certaine audace de sa rédaction. Il sera ainsi relevé un temps de ses fonctions de directeur de l'hebdomadaire par le ministre de l'Information, Mohamed Seddik Benyahia, suite à la publication d'un article critique de Z'hor Zerari sur l'autogestion. Ferhi, qui n'aura pas d'atomes crochus avec le successeur de Benyahia, Ahmed Taleb Ibrahimi, à cause, précise-t-il, de la politique d'arabisation, quittera les couloirs des rédactions et les plombs des rotatives pour la DNC du défunt Abdelmadjid Aouchiche, avant de diriger, beaucoup plus tard (1994 à 1998), un hebdomadaire sportif El Mountakhab. Clou de la collection : des exemplaires d'Alger Républicain, du Peuple Echaâb, parus le jour du coup d'Etat de juin et Alger-ce soir, qui a publié à la une la proclamation du Conseil de la Révolution de Boumediène. Autre curiosité pas vraiment journalistique : un brouillon du tract diffusé en avril 1955 par Abane Ramdane. Le manuscrit écrit de la main du pensionnaire des prisons d'Albi et Ensisheim est récupéré par Mohamed Talbi, responsable du PPA-MTLD à Bordj Bou Arréridj chez qui se réunissait Abane, secrétaire à Châteaudun du Rhummel (Chelghoum Laïd, Sétif). «Dès que Abane arrivait, la mère (de Talbi) disait à son fils ''dja bougoufa'' parce que Abane transportait toujours ses documents dans un panier», lit-on dans la légende qui accompagne le texte écrit de la main du chef assassiné du CCE. Ferhi a exprimé ses regrets de ne pas voir le projet d'un musée de la presse pris à bras-le-corps par les autorités. Explication retenue par le journaliste : «Les pouvoirs publics ne se sont jamais intéressés à la communication sur la communication.»