Les hommes et les incidents que Mourad El Husseini avait rencontrés sur son chemin, au cours de ses années de tourments(1), avaient enrichi sa sensibilité et peuplé son imagination d'impressions et de visions si nombreuses qu'elles avaient empli tout son horizon pendant la première période de sa production théâtrale. Toutes les pièces significatives de cette époque étaient des choses vues et contenaient des épisodes, des personnages se rattachant à des incidents auxquels l'auteur avait été mêlé. Avant de passer à des œuvres qui ne sont plus inspirées par les suggestions immédiates de la vie ou du souvenir, il fallait que Mourad El Husseini se délivrât de trop d'images insistantes en les extériorisant dans des pièces qui sont d'ailleurs admirables. Durant la deuxième -et la plus importante- période de son activité créatrice, Mourad El Husseini se place devant le réel de façon à le voir de plus haut et de plus loin. Il élargit le champ de sa vision, cependant qu'une pensée plus profonde anime son œuvre. Car cette libération de l'expérience personnelle et immédiate, au lieu de l'éloigner de la réalité, va le lier plus étroitement à son pays (l'Irak) et le conduire à étudier les questions les plus actuelles de la vie sociale et avec celles-ci, les tendances de l'âme irakienne qui, à travers les transformations apportées par le temps, demeurent constantes. Au Machraq, on le sait, l'amour, soit dans le roman, soit au théâtre, est traité avec une réserve plus réticente ou, si l'on préfère, avec moins de franchise que dans la littérature maghrébine,par exemple. Et ceci n'est pas seulement un effet durable des vieilles contraintes sociales, mais le produit d'une longue tradition de censure et d'autocensure. Alors que la sentimentalité et le sentiment ont le droit de s'exprimer librement, l'amour, et surtout la passion,Ò‹ sont tenus pour choses dangereuses. La lettre de Selma, la plus importante pièce de Mourad El Husseini (2) éclaire de sa tragique lueur deux êtres que possède un amour aussi irrésistible, aussi fort que les puissances conjuguées de la vie et de la mort. Mourad El Husseini situe dans le passé son histoire d'amour et de crime involontaire. Mais ce n'est plus le passé historique et les temps de la dictature politique qu'il évoque, c'est la vie de l'Irak en 2005, qui compose le cadre et crée l'atmosphère sociale et morale de la pièce. La double fatalité de la jeunesse et d'une profonde désunion familiale pousse l'un vers l'autre deux êtres simples : un sunnite et une chiite. Pour eux, l'amour n'est pas un crime. Cependant, les deux amants deviennent à nos yeux les victimes d'une société confessionnalisée, bornée et sclérosée. Ils sont de tragiques et pitoyables épaves balayées par le flot d'une passion si forte qu'aucune loi humaine ou divine ne peut s'opposer à elle. La pièce trouve son épilogue dans le triomphe de l'amour. Beaucoup de critiques ont trouvé dans cette pièce le symbole d'un Irak triomphant et libéré du confessionnalisme et des terroristes religieux. Mourad El Husseini est aujourd'hui un dramaturge comblé. 1)- Mourad El Husseini a été blessé dans un attentat terroriste à Baghdad. Il en garde de sérieuses séquelles. Il est aujourd'hui parmi les meilleurs dramaturges irakiens. 2) Le théâtre de Mourad El Husseini -2 tomes –Dar –El