«La pièce apporte des valeurs artistiques et humanistes aux Irakiens qui ont une longue histoire d'amour avec le théâtre», selon le metteur en scène, Haïdar Munathar. Après plusieurs décennies de censure du théâtre comique politique en Irak, des milliers d'Irakiens ont défié, cette semaine, les menaces de violences pour assister à une représentation qui dénonce la corruption des hommes politiques locaux. Le lever de rideau a eu lieu mardi soir au Théâtre national à l'occasion de la fête de l'Aïd El Fitr, qui marque la fin du jeûne du Ramadan. Le quartier de Karrada, pourtant de nouveau frappé quelques heures plus tôt par un attentat à la bombe, a vu une grande influence, malgré l'interdiction à la circulation des routes menant au théâtre pour des raisons de sécurité. Les premiers spectateurs sont donc arrivés à pied, à la nuit tombée, pour assister à la nouvelle pièce de l'auteur irakien Ali Hussein. Amenez le Roi, amenez-le! est une satire des moeurs de la nouvelle classe politique irakienne, et un tournant majeur après des décennies d'oppression des artistes par le pouvoir. Poètes, dramaturges et auteurs ont souffert sous le règne du dictateur Saddam Hussein (renversé à la suite de l'intervention américaine en mars 2003 et exécuté en 2006), dont la censure n'autorisait que quelques pièces commerciales, à peine comiques et toujours superficielles. «La pièce a une connotation très politique, nous espérons que c'est un premier pas vers un retour de la satire politique au théâtre en Irak», explique l'auteur, rappelant que le genre était très populaire dans les années 60. Chronique à peine voilée de la vie politique irakienne de ces dernières années, la comédie raconte l'histoire d'un souverain imaginaire qui tente de convaincre ses sujets qu'il lutte pour leur bien-être, alors qu'il ne recherche que son propre intérêt et celui de sa cour. Un citoyen ordinaire kidnappe le monarque, et lui fait visiter les recoins les plus miséreux du pays. Le titre de la pièce est inspiré d'un refrain populaire Amenez la coupe, amenez-la!, chanté en l'honneur de l'équipe de football irakienne après sa victoire inespérée à la coupe d'Asie 2007. Il joue sur les promesses non tenues du gouvernement irakien, dans un pays toujours confronté aux violences et largement privé d'infrastructures, et ce bien que les revenus de l'Etat aient explosé grâce au pétrole. «L'Irak est contrôlé par les intérêts particuliers (des politiciens) plus que par les intérêts du peuple», souligne Hussein. Ce quinquagénaire iconoclaste est connu pour s'attaquer aux sujets sensibles: sous Saddam Hussein, il était déjà sur la corde raide avec le pouvoir en dénonçant la misère générale des Irakiens après la première guerre du Golfe en 1991 puis une décennie de sanctions internationales. L'arrivée au pouvoir de Saddam Hussein, en 1979, avait vite étouffé toute la génération de talents culturels et artistiques née à partir des années 1950. Nombre d'entre eux ont choisi l'exil, et leur absence se fait sentir aujourd'hui cruellement pour enclencher une nouvelle dynamique culturelle dans le pays. «Le succès remporté par la pièce montre à quel point le public est intéressé par un théâtre d'avant-garde, ironique et critique», analyse le metteur en scène, Haïdar Munathar. «Après plus de cinq années d'absence, le retour du théâtre en soirée exprime cette soif du public, prêt à braver l'insécurité et l'obscurité», dit-il. Selon lui, «la pièce apporte des valeurs artistiques et humanistes aux Irakiens qui ont une longue histoire d'amour avec le théâtre». Cette première augure d'un renouveau des arts dramatiques en Irak, se réjouit Riyadh Moussa Sakran, directeur des études théâtrales à l'Université des Arts de Baghdad: «Cela nous ramène enfin, à l'éloquence, à l'humanisme du monde écrit qui nous montre ce qu'est vraiment notre quotidien.» Ce sont de terribles épreuves que vit l'humanité en général et le peuple irakien en particulier. Certes, le malheur des uns a toujours fait le bonheur des autres, mais les arts ont toujours été la meilleure voie pour une lutte pacifique pour dénoncer les injustices qu'on endure.