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Une légende s'en va
Décès de Sid Ahmed Serri, un grand maître de la musique arabo-andalouse
Publié dans El Watan le 16 - 11 - 2015

Sid Ahmed Serri est une légende, un «godfather», une icône sans démagogie ni démesure et surtout le templier de la musique arabo-andalouse.
Un genre musical qu'il aimait passionnément, à la folie. Et qu'il défendait, conservait, protégeait et vulgarisait, pas comme une chasse gardée, mais tel un passeur de témoin de ce précieux legs aux jeunes générations.
Et ce, afin de perpétuer, et par conséquent préserver ce trésor, un patrimoine. Sid Ahmed Serri, 63 ans de carrière au compteur est un «cheikh» jurant avec l'acception gérontologique ou d'un pléonasme, mais au sens d'un paradigme superlatif d'un grand homme.
Et où la musique andalouse et la «çanaâ» avaient trouvé leur maître…à penser. Et cela n'avait pas de secret pour lui ! Car il portait bien et beau son nom : Serri !
En arabe, «serri» veut dire secret.
Ahmed Serri a vécu, respiré et transpiré une musique fleurant très bon le terroir algérois et algérien. Il a tutoyé l'histoire et les interstices de la mélomanie andalouse d'un raffinement gouleyant, et ce, en tant qu'interprète, instrumentiste, professeur, pédagogue, musicologue, ou encore chef d'orchestre.
Sid Ahmed Serri était cette force tranquille, cette sagesse, cette passion dévorante et dévastatrice, cette ambition affichée musicalement parlant. Cette aura altière et puis cet amour, cette affection pour ce patrimoine ancestral l'animaient pour ne pas dire l'habitaient.
«Est-ce que Sid Ahmed Serri aurait existé sans Fakhardji ?»
Ahmed Serri a eu un âpre parcours. L'itinéraire d'un enfant pas du tout gâté. Il s'était construit tout seul. Un self-made-man de la musique arabo-andalouse. «Je suis né presque avec l'amour de cette musique», se souvenait-il.
Et ce, au sein des associations comme El Andaloussia, El Hayat, ou encore El Djazaïria sous les auspices de Abderrezak Fakhardji. Il avait démontré qu'il avait chanté, joué, recherché et évolué avec son âme «sœur», la musique, dans les venelles de sa Casbah natale (le 2 novembre 1926).
Ahmed Serri avait des référents et ses références lui ont ouvert la voie, pour ne pas dire «voix royale» au chapitre très policé de la musique arabo-andalouse.
Comme Hadj M'rizek qui le fascinait, cheikh Slimane Hannani, le trouvère disparu mais retrouvé, Kaddour Bachtobdji, son repère, Edmond Nathan Yafil, l'incontournable, Mohamed Benteffahi, dont il est le digne héritier, Abderezzak Fakhardji, le maître incontesté, Mohamed Ben Ali Sfindja, le précurseur, Bakir Messekdji, l'ultime conservateur des qcid (texte ancien)…
Et puis, El Boudali Safir, cet adjuvant, cette caution à la musique. D'une grande humilité, Sid Ahmed Serri, pour rendre hommage à son maître spirituel Fakhardji, s'interrogera : «Est-ce que Sid-Ahmed Serri aurait existé sans Fakhardji ?»
Le chant du rossignol
En compulsant le beau livre biographique intitulé Sid Ahmed Serri, le chant du rossignol, dont l'auteur est le journaliste Hamid Tahri, paru aux éditions Quipos, en 2013, on découvre des photos du «kid» Sid Ahmed Serri, alors âgé de 9 ans, coiffé d'un tarbouche, à la moue juvénile et insouciante ; là, celle du maître Sfindja aux moustaches «turques» en 1890 ; là-bas, officiant aux côtés de la diva Fadela D'ziria en 1955, ou encore à côté, la photo de Messali Hadj, un leader nationaliste auquel il vouait une admiration. C'est qu'Ahmed Serri a œuvré pour l'indépendance de son pays, l'Algérie.
Un devoir ! Ahmed Serri était entier et «cash». œuvrant et s'investissant dans son travail de proximité quant à la protection, sauvegarde et autre préservation du patrimoine de la musique arabo-andalouse, il avait poussé des coups de gueule, dénonçant la bureaucratie et les coups de cœur pour la nouvelle génération : «J'ai joué un peu au Don Quichotte.
Depuis l'indépendance de l'Algérie, je n'ai pas cessé d'appeler à sauvegarder le patrimoine musical national. Certains chouyoukh étaient encore en vie. Il fallait en profiter avant qu'ils ne disparaissent.
Cela n'a pas été fait. Des amis m'ont forcé la main pour que j'enregistre mon répertoire pour laisser quelque chose… Les compétences sont insuffisantes tant que les élèves n'ont pas reçu une formation organisée. Actuellement, les enseignants font preuve de bonne volonté pour enseigner ce qu'ils savent, mais cela reste insuffisant. »
Sacré puriste
Quant au caractère sacré de la musique andalouse, il précisait : «Peut-on apporter une nouvelle touche à une symphonie de Mozart ou de Beethoven ? Dans le chaâbi, il y a une qacida qu'il faut apprendre et le chanteur est libre de l'interpréter comme il le veut. Il n'y a pas de règles absolues dans le chaâbi, sauf pour la musique classique.
C'est sacré, on n'y touche pas. On ne peut apporter un changement dans un morceau existant déjà.» Sid Ahmed Serri est issu d'une famille de mélomanes. Il éprouve dès son plus jeune âge une forte passion pour la musique.
En 1945, il adhère successivement aux associations El Andaloussia, puis El Hayat qu'il quitte pour entrer à l'association El Djazaïria, où il est admis dans la classe de musique dirigée par Abderrezak Fakhardji.
Ses dons de chanteur le classent alors parmi les meilleurs et lui ouvrent, dès 1948, les studios de la radio, puis ceux de la télévision qui lui permettront de se faire connaître du grand public.
Lorsqu'en 1952 son professeur est nommé au Conservatoire d'Alger, les dirigeants d'El Djazaïria (devenue depuis peu El Djazaïria El Mossilia par la fusion de leurs associations) confient la classe supérieure à Sid Ahmed Serri, qui passe ainsi du statut d'élève à celui de professeur, statut qu'il conservera jusqu'en 1988, si l'on excepte une période d'interruption due à la guerre de Libération nationale et à la restructuration de l'association au lendemain de l'indépendance de l'Algérie.
En guise de legs testamentaire
Il dispense également des cours au Conservatoire d'Alger, ainsi qu'à l'Institut national de musique et à l'Ecole normale supérieure. Entre 1988 et 1992, il s'attelle à la création et au développement d'une nouvelle association musicale, «El Djazaïria-Eth Thaâlibya». En 1989, il est choisi et élu à l'unanimité par ses pairs comme président national de l'Association de sauvegarde et de promotion de la musique classique algérienne.
En avril 2006, il est élu président de la Fédération nationale des associations de musique classique algérienne. Sid Ahmed Serri est l'auteur, en collaboration avec Rachid Mahi, d'un recueil de noubate andalouses, éditées en 1997, puis rééditées en 2002 et 2006 par l'Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG).
Il a écrit en outre de nombreux et divers articles et études publiés dans la presse et les revues algériennes. Entre 1998 et 2002, il réalise l'enregistrement sur CD de l'intégralité de son répertoire de musique classique algérienne.
Sid Ahmed Serri a été le premier artiste lyrique à recevoir, en avril 1992, les insignes de l'Ordre du Mérite national.
En guise de legs testamentaire, Sid Ahmed Serri a laissé cette confession à méditer : «Je crois avoir fait tout ce que je devais faire. Il me semble que j'ai essayé de travailler pour laisser une relève, même si cela peut être contesté par certains».
Sid Ahmed Serri sera inhumé aujourd'hui au cimetière de Sidi Yahia, à Alger, après la prière du d'hor.


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