Un bon nombre de nos économistes et de nos décideurs sont en train de poser de fausses questions sur le mode de comportement de nos institutions et les alternatives de solution à nos problèmes. Pour relativiser cette assertion, ce ne sont pas tous les décideurs ni tous les économistes, mais seulement la vaste majorité. En second lieu, on peut prendre quelques bonnes décisions marginales, alors même que la problématique de fond n'est pas bien cernée. Les questions qu'on est en train de se poser sont du genre : comment allons-nous faire pour disposer des ressources nécessaires pour financer le développement ? Que faut-il faire pour résister à cette période de recettes insuffisantes et reprendre la croissance ? Que devons-nous entreprendre pour mobiliser les ressources financières qui se trouvent hors des circuits formels ? Beaucoup de questions de ce genre et de réponses plus ou moins appropriées fusent dans le débat économique actuel. Lorsqu'on approfondit un peu la réflexion, on va jusqu'à dire qu'il faut maintenant rationaliser les dépenses. Il faut alors dépenser mieux et bien et tirer profit des ressources injectées dans l'économie. Mais les véritables questions de fond sont occultées. Pourquoi ? Probablement parce qu'elles renvoient à des alternatives de solutions avec des priorités tout à fait différentes des choix qu'on est en train d'effectuer depuis des décennies. En fait, on peut résumer nos préoccupations en une question tout à fait impressionnante parce qu'elle est susceptible de nous éclairer sur les véritables ruptures à opérer : qu'ont fait les pays qui ont réussi leur émergence ? La Chine, la Malaisie et la Corée du Sud ont bien su devenir petit à petit des puissances économiques et technologiques, même s'il leur reste du chemin à parcourir pour se hisser au stade des pays développés. Il ne s'agit pas de copier aveuglément ces pays, mais s'en inspirer pour déterminer les Facteurs clés de Succès (FCS). Pourquoi ce n'est pas une question de ressources ? Premier élément de la problématique, on commence à comprendre que le développement, la croissance continue et le bien-être d'une nation sont très peu liés aux ressources et aux financements. Qu'est-ce qui a fait la grandeur économique de la Corée du Sud, l'un des pays les plus pauvres de la planète ? Dépourvu de ressources et de capacités d'exportation au début des années soixante (quelques rares produits agricoles seulement), le pays a eu un recours massif à l'endettement. Ce sont surtout les dettes qui ont permis de faire émerger des universités, des entreprises, des villages technologiques, etc., de classe mondiale. Certains diraient : nous sommes victimes de la malédiction des ressources (syndrome hollandais). Peut-être, mais nous avons un contre-exemple : la Malaisie. pays très riche en pétrole, gaz et ressources agricoles et minières qui investit ces ressources pour devenir une puissance technologique. De 1962 à 2000, nous avions eu des recettes extérieures de presque 300 milliards de dollars. De l'an 2000 à 2014, nos rentrées en dollars ont avoisiné les 1000 milliards avec plus de 800 milliards injectés dans l'économie. Ce n'est pas pour autant qu'on maîtrise le développement. Ce dernier n'a jamais été une question de ressources. De nos jours, chaque expert, chaque décideur vous donnera une formule devenue lapidaire pour régler un problème extrêmement complexe : nous devons rationaliser les dépenses. Cela paraît simple et à notre portée. En réalité, il n'y a pas plus compliqué que la rationalisation des dépenses. Si cela était simple, pourquoi ne l'avions-nous pas fait depuis cinquante ans ? Nous avons de nombreuses conditions à satisfaire avant d'arriver à une rationalisation effective des dépenses. On peut diminuer les dépenses si le volume des ressources baisse, mais cela ne s'appelle pas de la rationalisation. Cette dernière consiste à obtenir l'équivalent en biens et services pour chaque dinar dépensé. Cela veut dire que si les normes de construction d'une route communale de bonne qualité (mesurables) serait de 10 dollars le mètre carré, on arriverait à réaliser ce projet en respectant les coûts, les délais et la qualité. Pour les services administratif : il s'agit d'en produire au profit des citoyens des services de bonne qualité, à un prix standard et avec une grande satisfaction des administrés que ce soient de simples citoyens ou des entreprises, qui verront une administration experte remplacer une administration bureaucratique. De quoi il s'agit alors ? Cette extrême simplification d'un mécanisme hautement compliqué peut nous faire beaucoup de tort. Chacun est en train d'attendre que cette «rationalisation des dépenses» produise les effets escomptés, comme si on est certain de l'atteindre puisqu'elle ne serait pas compliquée. A lire la presse nationale et les déclarations d'experts et de responsables, tout le monde attend avec impatience que la nouvelle formule toute simple et soudainement trouvée de la rationalisation produise les miracles escomptés. Dans quelques années, beaucoup de gens seront déçus et devront inventer une tout autre formule. Le problème est le suivant : comment des administrations et des entreprise sous-gérées (au moins 90% d'entre elles) vont-elles savoir rationaliser les dépenses ? Ce n'est pas quelque chose que l'on apprend rapidement parce qu'on n'a pas suffisamment de ressources. Cela se construit sur le long terme avec beaucoup d'efforts et de sueur. Si on savait rationaliser les dépenses, nous aurions été un pays émergent depuis belle lurette. Avec d'énormes efforts, on peut réduire les dépenses de 1 à 2% par unité d'output et c'est tout. La rationalisation des dépenses, phénomène extrêmement complexe, nécessite la mise en place de nombreuses conditions aussi importantes les unes que les autres. Je citerai seulement deux paramètres, le reste on le traitera ultérieurement : les recyclages et la modernisation des processus managériaux. Nous avons des cadres en opération qui ont subi très peu de recyclage les vingt dernières années, alors que les outils de travail ont changé un peu partout dans le monde. Il nous faut un plan Marshall de recyclage, comme l'ont fait les Chinois, les Coréens, les Polonais, etc. Le second volet a trait aux pratiques managériales. La gestion des entreprises, des administrations et de toutes sortes d'institutions (universités, hôpitaux, agences), etc., a connu des mutations positives très profondes dans le monde. Les changements ont été dérisoires dans notre pays. Il est impossible avec la culture et les pratiques managériales actuelles qu'une quelconque rationalisation des dépenses puisse avoir lieu. La méthodologie de réalisation des programmes sectoriels ou nationaux exigent le respect d'un certain nombre de principes pour les voir s'exécuter. Parmi ces derniers, on notera ce qui suit : il faut toujours se poser la question suivante : quelles sont les conditions de réussite de ce programme ? Pour notre cas : quelles sont les conditions de réussite de la rationalisation ? Il y en a plusieurs. Nous avons devant nous une tâche difficile, mais pas impossible. Il nous faut travailler beaucoup et avec rigueur avant de pouvoir profiter des bienfaits de la rationalisation des dépenses. Certes, c'est la piste à suivre. Mais il faut réaliser un certain nombre de pré-requis pour maîtriser effectivement les processus de rationalisation des dépenses.