Lorsqu'on analyse profondément les raisons fondamentales qui révèlent les succès des pays ou des entreprises, on évoque deux termes : gouvernance et management. En fait, il s'agit des deux côtés d'une même médaille : la gouvernance est le management des institutions et des mécanismes politiques. On y applique les mêmes outils et les mêmes schémas. Il y a beaucoup de pédagogie à déployer afin d'expliquer ce qui pourrait se passer en présence de défaillances managériales. La gouvernance devient plus simple lorsque les entreprises économiques et les institutions de l'Etat ont internalisé un système managérial de classe mondiale. Lorsque les directives du haut sont souvent défaites par un faisceau d'institutions structurées à faire du surplace, la stratégie des décideurs devrait être tout autre. L'une des tâches fondamentales des responsables politiques est de décider de l'affectation des ressources. Mais à leur niveau, il n'y a pas de mécanisme automatique d'affectation des ressources. Au niveau de la sphère économique, le marché joue tant bien que mal ce rôle. Sous certaines conditions, les allocations de ressources par le marché (offre et demande) produit des répartitions acceptables. Par exemple, un système bancaire compétitif, débarrassé de la sphère spéculative, oriente les crédits vers les entreprises bien gérées. Par contre, s'il est exclusivement sous l'emprise de monopoles privés ou publics, il financera des activités sous-optimales pour le pays : l'importation et les entreprises déstructurées. Les décideurs publics n'ont pas un outil d'allocation de ressources pertinent. Même l'analyse des coûts-bénéfices est parfois trop imprécise pour donner les verdicts qu'il faut. Alors, il faudrait soi s'entourer de gens compétents et les écouter, ou faire des Benchmarkings pertinents. Gouverner avec un déficit managérial On a deux manières de vouloir résoudre les problèmes. La première consiste à fixer une barre très haut et instruire les personnes et les institutions de réaliser une performance d'un très haut niveau. Prenez un exemple simple. Vers la fin des années quatre-vingt-dix, les décideurs économiques avaient fixé un objectif d'exportation hors hydrocarbures de 3 milliards de dollars. On peut évoquer une décision managériale : le PDG d'une entreprise de réalisation publique qui fixe une échéance de cinq ans pour payer ses dettes et renouer avec les bénéfices. Des milliers de décisions se prennent chaque jour par des responsables. Ces derniers comptent le plus souvent sur les structures et les personnes sous leurs ordres pour exécuter les choix opérés. Souvent, beaucoup trop de responsables croient que leur plus grand mérite est de montrer la direction, fixer l'objectif, instruire de le réaliser et le reste suivra. Toute une chaîne de décisions et d'opérations se mettront en œuvre pour réaliser le plan prévu. Ce sont ces croyances profondes sur le comportement des personnes et des institutions qui induisent en erreur les décideurs. Ils font l'hypothèse qu'il suffit d'injonctions, de directives et de d'orientations pour que les choses se réalisent. Ce genre de décideurs inonde les circuits et les structures de directives. Mettons de côté un problème majeur : la conformité de ces directives avec les différents textes législatifs du pays. Les juristes parlent d'une jungle des textes qu'il faudrait assainir un jour. Mais là n'est point notre thème. La démultiplication de directives est un signal important que le système fasse du surplace, tout comme beaucoup trop de réunions qui durent longtemps sont un symptôme d'un désordre organisationnel. Parfois, on a même l'impression de gagner. Prenez le problème de la débureaucratisation. Le système invente toujours des systèmes pour le compliquer lorsque les responsables veulent le simplifier. Les administrations actuelles délivrent plus rapidement les passeports pour être conforme aux nouvelles directives, mais le délai de remise des permis de conduire a été multiplié par trois dans la plupart des daïras. Toute entreprise ou toute administration est une série de processus ; sans maîtrise managériale, on ne peut améliorer quelque chose qu'au détriment d'une autre. Les solutions au déficit managérial Les responsables vigilants s'informent et doivent avoir une opinion précise sur les capacités d'amélioration du système. Parfois, cela nécessite un diagnostic. Le système qui a fonctionné d'une manière sous-optimale a tendance à prendre ses performances pour des normes. On s'habitue facilement à un niveau de performance bas qu'on n'est plus capable de s'améliorer facilement. Les décideurs doivent savoir qu'exiger des résultats ambitieux d'un système qui a très mal fonctionné dans le passé est extrêmement complexe, même si cela demeure possible. Le plus souvent, on sous-estime les efforts, les ressources à mobiliser pour muter radicalement les modes de fonctionnement d'un système. Multiplier les directives et injonctions est un indice que l'entité est mal structurée et qu'elle nécessite une sérieuse révision de tous ses dispositifs managériaux. Prenons comme exemple le processus de débureaucratisation. Depuis combien de temps entendons-nous parler de la volonté des pouvoirs publics d'éradiquer la bureaucratie ? On fait quelques avancées. On s'est amélioré dans le climat des affaires. Le système bureaucratique s'est restructuré. Il a mis plus de ressources et de moyens dans les indicateurs de «Doing Business» au détriment d'autres activités. La débureaucratisation est une affaire de méthodologie managériale. De nombreux pays ont modernisé la manière de fonctionner des administrations, les rapprochant davantage du «Business Managment» ; c'est ce qu'il est convenu d'appeler «The New Public Management». Ce dernier n'est pas immune de critiques ou ne fonctionne toujours pas adéquatement ; mais de nombreux pays l'ont utilisé pour moderniser leur mode de fonctionnement administratif. Singapour a, de l'avis de la majorité des experts, la meilleure administration mondiale en termes du rapport coûts/qualité. Mais ce n'est certainement pas grâce aux directives et aux injonctions. Ce qui explique sa réussite demeure la méthode : qualifier au plus haut niveau les administratifs, mesurer les performances, planification par objectifs, processus consultatif, apprentissage du leadership et autres. Ce sont ces outils et ces méthodes qui ont produit des performances, mais pas les simples injonctions et circulaires.