Bon chic bon genre, les étudiants des écoles supérieures font preuve d'un esprit d'entrepreneuriat certain. Il faut avouer que leurs énergiques clubs scientifiques font, et de loin, mieux que l'administration chargée d'animer la vie estudiantine. Or, faire l'éloge à ces affiliés des grandes écoles ne doit pas non plus sonner comme une «béatification» car outre l'image «stéréotypée» d'élèves brillants qui les distingue, ces «bac très-bien» ne semblent plus aussi bons que leurs aînés d'antan. «Vous ne vous liez plus et vous vous exprimez mal !» les tance pour mieux les secouer Mohamed Azzouz, architecte connu et ancien professeur à l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme (EPAU). La qualité de l'enseignement irait en se dépréciant dans les grandes écoles, censées pourtant se démarquer des autres institutions de l'enseignement supérieur de par leurs moyens humains et matériels. Le cas de l'EPAU d'Alger n'échappe pas à cette déplorable tendance, selon le constat corroboré par les architectes et enseignants qui se sont exprimés lors d'un débat axé autour de «La qualité de l'enseignement de l'architecture», animé en marge des conférences Humans of Architecture (HOA). Selon Mohamed Azzouz, l'architecte est censé capitaliser un savoir multidisciplinaire ; les disciples sont sommés de cumuler ces savoirs à travers la lecture essentiellement, pour pouvoir ensuite développer leurs propres approches conceptuelles. Car au-delà de l'objet architectural, écrire est incontestablement un acte fondateur de la carrière d'un architecte. Selon le conférencier, la créativité interviendrait en parallèle. «Elaborer de nouvelles visions va de pair avec le développement de ses capacités de communication il faut avoir les moyens de sa politique pour faire face aux critiques, échanger mais aussi savoir défendre son travail devant les appréciations subjectives», argumente le professeur à la retraite, qui continue toutefois de collaborer avec l'EPAU ainsi que d'autres départements d'architecture régionaux. Enseignement lénifiant «les départements d'architecture souffrent d'un manque flagrant d'encadrement. Les vacataires qui y collaborent n'ont pas les capacités de s'impliquer pour assurer une formation de qualité», reproche-t-il. Hormis l'Ecole supérieure, la réforme LMD semble avoir laminé encore cette discipline à l'université. «Les étudiants subissent un enseignement lénifiant, ils cèdent au parcœurisme et se complaisent dans l'imitation ou, pire, le plagiat.» Et d'ajouter : «N'est pas chercheur qui veut. Le cumul de grades licence, mastère et doctorat est-il sérieux sans une expérience effective sur le terrain ?» Cette question donne d'ailleurs à foison des private joke (blague privée) chez les architectes. «Docteur par-ci, professeur par là, l'EPAU est en train de devenir un CHU !» ironisent les élèves. Ainsi pour revenir à la condition de l'Ecole nationale supérieure, il convient d'admettre que son état n'est pas plus reluisant. «L'EPAU ne publie plus, ses fameux cahiers d'architecture ont cessé de paraître», reproche l'architecte. «Dans le passé, les diplômés de l'EPAU étaient reçus avec brio dans les grandes écoles mondiales, désormais, la plupart de ceux qui partent à l'étranger ratent lamentablement les concours et se voient dégradés à la troisième ou deuxième année pour se recycler», se désole-t-il. Mais l'ancien enseignant reste optimiste et continue de prodiguer ses conseils aux jeunes architectes, les invitant à s'instruire par leur propre volonté. Pédagogue, il trouve le moyen de citer des ouvrages de psychosociologie, de sémio-linguistique et autres disciplines appliquées à l'enseignement de l'architecture. Et de rappeler aux enseignants l'opportunité de recommander une bibliographie particulière aux étudiants, adaptée à chaque palier de leur cursus. «Une lecture obligatoire» que l'enseignant avait coutume de prôner à ses élèves, «pourvu qu'ils s'y intéressent». Outre le fait que ces lectures font partie intégrante de la formation, l'acte de lire reste une passion que l'on ne peut inculquer par injonction. L'architecte remet en cause l'ensemble du système éducatif en amont ; la maîtrise des langues étrangères et la sensibilisation dès le jeune age à l'art et aux «autres» cultures universelles, une «ouverture» en somme de l'esprit du jeune apprenant bien avant d'atterrir au palier de l'enseignement supérieur avec une instruction de base assez solide et la passion d'accomplir une vocation. La rencontre avait profitablement permis aux étudiants de discuter à bâtons rompus avec leurs aînés, mais ces derniers, peu convaincus des performances de la nouvelle génération, ne se sont pas encombrés de détours pour ébranler les conceptions sommaires qu'échafaudent ces jeunes apprenants. Un débat certes houleux, mais dans un bienveillant élan pédagogique de sensibilisation, nuancent les enseignants.