La question des migrants et des réfugiés ne s'impose pas uniquement à l'actualité du monde. Le cinéma saisit cette thématique pour ouvrir d'autres fenêtres et susciter les questionnements, au moment où Amnesty International parle des «barbelés de l'Europe». L'Italien Jonas Carpignano, qui vit partagé entre Rome et New York, a suivi à la trace le «grand voyage» des migrants africains. Dans Mediterranea, son premier long métrage projeté en compétition au 37e Festival international du film du Caire, qui se poursuit jusqu'au 20 novembre, le jeune cinéaste raconte l'histoire de Abas (Alassane Sy) et Ayiva (Koudous Seihon), deux Burkinabè qui traversent le Sahara algérien, puis libyen avant de couler en Méditerranée après une tempête avec d'autres passagers de fortune. Ils ont la chance d'être sauvés par des gardes-côtes italiens. Une fois les pieds sur terre à Rosarno, les nouveaux arrivés doivent trouver un contrat de travail sinon le titre de séjour provisoire ne sera plus valable. Abas et Ayiva se rappellent des photos vues sur Facebook, où d'autres migrants vendaient «la belle vie» au vieux continent. Les migrants doivent affronter le froid des nuits d'hiver, le racisme anti-Noirs, l'exploitation de leur détresse et les nouvelles formes d'esclavagisme. Ayiva travaille dans la cueillette des oranges, mais est sous-payé. Il est pris par la nostalgie du pays, se rappelle sa fille Zeina. Et Abas, moins déterminé qu'Ayiva, est victime de la violence des ultras italiens, n'accepte pas sa situation. Heureusement que la solidarité de Mama Africa est là. Cette vieille femme italienne accueille les clandestins, leur offre le gîte et la nourriture. L'entraide entre migrants est également forte. La misère force l'union. Ayiva est pris par le doute. Revenir au pays ? Rester en Italie ? Tenter sa chance ailleurs ? Il n'a pas de réponse. Jonas Carpignano n'a pas cherché lui non plus à trouver des réponses toutes faites à une situation dramatique. Le mouvement continu de la caméra de Wyat Garfield donne à la fiction une allure presque documentaire. Elle accélère lorsque les personnages courent, poursuivis par des jeunes racistes, monte et redescend, tourne dans tous les sens... Cela donne inévitablement une valeur réaliste à un film déjà dense malgré la modestie de son scénario écrit par le cinéaste lui-même. Mediterranea est un film poignant et actuel. Il rappelle ce que l'on sait déjà sur les malheurs quotidiens des migrants clandestins en Europe, mais le fait d'une manière admirable, soulignant que ni le Bien ni le Mal ne sont absolus. Il y a toujours une zone médiane entre le Paradis et l'Enfer. Le film, qui a bénéficié de financements qataris, français, allemands, américains et italiens, est inspiré de faits réels : l'émeute de clandestins africains en janvier 2010 en Calabre. Un agriculteur raconte à Ayiva — moment fort du film — comment les Italiens avaient souffert lors des premiers voyages aux Etats-Unis. Et c'est justement le sujet apparent de John Crowley, développé dans la fiction Brooklyn, mais pour les Irlandais. Ou, disons, les Irlandais et les Italiens qui, finalement, se sont rencontrés dans le meilleur et dans le pire sur la côte est des Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale. Inspiré du best-seller du romancier irlandais Colm Toibin (sorti en 2009), ce film a été projeté à la grande salle de l'Opéra du Caire dans la section «Festival des festivals» consacrée aux films primés. Au début des années 1950, Eilis Lacey (Saoirse Ronan) monte dans un bateau pour rejoindre l'Amérique, ou plutôt Brooklyn, le célèbre quartier new-yorkais. Elle fuit une situation sociale difficile en Irlande. Pour les Irlandais, l'Amérique était un rêve, comme l'est l'Europe pour les Africains aujourd'hui. Et demain, qui sait, l'Asie serait peut être l'eldorado pour les Européens... Emerveillée par Big Apple, Eilis vit avec d'autres filles embarquées presque dans la même «aventure», trouve du travail dans un magasin pour femmes et fait des études de comptabilité. L'Amérique ? «Working hard for money» (travailler dur pour gagner de l'argent), comme chantait Diana Summer. Eilis, qui a le mal du pays, sent le vide autour d'elle avant de trouver le grand amour auprès du jeune Italien Tony Fiorello (Emory Cohen). Elle s'adapte comme elle peut, aidée par la solidarité entre Irlandais. Oui, mais où sont donc passés les Américains ? Ne sont-ils pas tous des enfants de l'immigration ? Eilis est bouleversée après la mort de sa sœur et confidente Rose (Fiona Glascott). Elle ne sait plus si elle doit rester à New York qui, pour elle, réunit toute l'Amérique, ou retrouver les prairies verdoyantes et les plages désertes d'Irlande. Le scénario du Britannique Nick Hornby, également romancier au talent reconnu, se distingue par son épaisseur. Il n'y a pas une scène en plus dans ce film. C'est d'une incroyable cohérence. L'Irlandais John Crowley, qui a filmé à l'ancienne, a rafraîchi l'histoire de Colm Toibin à travers un casting réussi, des décors presque peints à la main et une dramaturgie menée comme une barque sur des eaux calmes. John Crowley a énormément tiré profit de son expérience de metteur en scène au théâtre pour diriger ses acteurs. John Crowley (à ne pas confondre avec l'écrivain américain portant le même nom) s'est révélé au grand écran en 2003 par la comédie noire Immersion, puis par le film dramatique Boy A sur la réinsertion sociale des jeunes détenus. Brooklyn est sorti début novembre 2015 en Irlande, en Grande-Bretagne et au Canada, les pays qui ont coproduit le film.