Le Havre est un film qui dénude l'hypocrisie d'une société occidentale installée dans la monotonie et l'indifférence. L'espoir est permis pour Aki Kaurismaki. Ce cinéaste finlandais est un optimiste du cœur. Et il le montre dans sa tendre comédie dramatique Le Havre. Film projeté samedi soir à la salle Mohamed Zinet à l'Office Riad El Feth, à l'occasion des 2es Journées du film européen d'Alger. Aki Kaurismaki a planté sa caméra dans la ville industrielle du Nord de la France, qui donne son nom au long métrage pour raconter une histoire qui pouvait se dérouler ailleurs en Europe. Le cinéaste a visité plusieurs villes portuaires espagnoles et italiennes, avant de trancher pour Le Havre. Là, Marcel Marx (André Wilms), écrivain raté, se redonne une raison en devenant un cireur de chaussures dans une gare où la plupart des passagers portent des baskets ! En fait, Aki Kaurismaki a repris le même personnage de La vie de Bohême, film sorti en 1992, en le laissant dans sa déchéance. Marcel partage l'espace avec un Thaïlandais qui vit avec l'identité d'une autre personne. Un jour, en prenant un sandwich, assis dans les escaliers du port, il tombe nez à nez avec un jeune garçon noir, Idrissa. Il lui offre naturellement un sandwich et des sous. Là, Aki Kaurismaki célèbre la solidarité simple, humaine. Habillé en noir, et perdant tout sourire, l'inspecteur Monet (campé par l'intrigant Jean Pierre Darrousin) recherche l'enfant clandestin. La presse s'intéresse au fuyard et s'interroge s'il n'existe pas de liens avec… El Qaîda ! Idrissa (Blondin Miguel) est venu à l'intérieur d'un container avec sa famille et d'autres migrants africains. Le cinéaste finlandais s'est éloigné de toute image de misérabilisme en filmant, à l'ouverture du container par des policiers armés, les migrants dans une position normale, digne. Pas d'Africains affamés et peureux ! Aki Kaurismaki respecte jusqu'au bout la philosophie de la fiction et se refuse tout regard hautain. Il revendique à sa manière un certain irréalisme poétique. La France et ses traditions sont, bien entendu, présentes dans son film à travers la baguette de pain que Marcel achète chez sa boulangère voisine Yvette (Evelyne Didi), l'assiette de fromage que son épouse Arletty (Kati Outinen, prix de l'Interprétation féminine au festival de Cannes en 2002 pour son rôle d'Irma dans L'homme sans passé offre le verre de vin rouge à table… Les Français sont bavards ? Le cinéaste finlandais filme un groupe de copains dans un bar parlant presque tous en même temps de leur région. Arletty tombe malade et Marcel est presque perdu. Il est sauvé par Idrissa qui s'installe chez lui et s'occupe de la maison et de la chienne. Avec sa candeur et son innocence, Idrissa ramène des couleurs à la vie de Marcel et du voisinage. Attaché à son Noir, Monet, qui porte drôlement le nom de l'artiste peintre français, ne cesse pas les recherches jusqu'à ce qu'il découvre le caractère ridicule de sa quête. Aki Kaurismaki met du jaune ici (pull-over d'Idrissa), du rouge là (les fleurs de Marcel), pour souligner que dans la vie il n'y a pas que le gris de l'indifférence, le blanc du vide. Le Havre évolue comme un conte contemporain. On sait où le cinéaste veut en venir, mais on se plaît à ce jeu. On adore la manière fine avec laquelle il se moque des symboles de l'ordre établi comme l'Eglise ou la bureaucratie policière. L'humour d'Aki Kaurismaki est élégant, sa critique vive et son art soigné. Les comédiens, qui dialoguent comme dans le théâtre classique, sont à l'aise devant la caméra du réalisateur de J'ai engagé un tueur. Le cinéaste fait confiance à l'Alsacien André Wilms, qui a tourné avec lui plusieurs films dont La vie de Bohème, et à ses yeux tristes. Le beau visage de Blondin Miguel ajoute une fraîcheur au récit et suggère que les migrants qui viennent chercher une vie meilleure au Nord ne sont pas des sauvages. La lumière chez Aki Kaurismaki est presque un acteur. Elle évolue avec la situation et soutient les sentiments. Autant que les plans qui sont souvent fixes mais bien travaillés. Pas d'ennui donc. Aki Kaurismaki, qui est scénariste (Arvottomat de son frère Mika Kaurismaki, Shadows in paradise et Ariel) et acteur (Le menteur, Calamari union), est le réalisateur du fameux L'homme sans passé qui a décroché le grand prix du Festival de Cannes en 2002. Il est également réalisateur du poétique La lumière du faubourg en 2006.