Un bébé, faute de parole, pleure pour dire qu'il existe. Et pleurer est plus facile que rire. Dans L'Enfant de Kaboul de Barmak Akram, projeté à la salle El Mougar à Alger, les pleurs servent presque de bande son. Une bande qui évolue avec les musiques de Mathieu Chédid et Barmak Akram himself. C'est un enfant inconnu, abandonné par sa mère sur la banquette arrière d'un taxi. Un sujet déjà exploré par le cinéma, à l'image du film algérien de Nadia Cherabi, L'Envers du miroir. Cependant, le long métrage se déroule dans une ville dévastée par la guerre. Les déplacements de Khaled (Hadji Gul), le chauffeur de taxi, pour retrouver la mère du bébé, est un prétexte pour découvrir un Kaboul en décomposition. Depuis neuf ans, l'Afghanistan est occupé par les forces de l'OTAN, sans que l'on sache pourquoi. Des forces qui ont échoué à retrouver la trace de Ben Laden, qui, curieusement, ne fait plus la Une des médias du « monde civilisé » ! Al Dhawahiri, la guest star, a, lui aussi, disparu. Barmak Akram, qui est également plasticien, peint un tableau réel du pays : des routes poussiéreuses et défoncées, des commissariats qui ferment à 16 heures, des pharmacies qui manquent de biberons, des barrages ominiprésents des militaires, des coupures de courant, des sirènes, de la bureaucratie... « Vous avez dansé sur la musique russe et maintenant vous dansez sur la musique pakistanaise », lance un ami de Khaled. Et les musiques américaine et britannique alors ? Rien ou peu de choses. Il est vrai que la présence des forces occidentales au pays n'est pas le sujet central du film, mais à vouloir trop l'éviter jette un certain doute sur le film. Si le pays est détruit, c'est la faute à qui ? Au Pakistan ! Passons. Pendant 36 heures, Khaled va se lancer à la recherche de la mère de l'enfant qui pleure. Kaboul compte, aux dernières nouvelles, 50 000 enfants abandonnés. Mais comment retrouver une mère portant un tchadri qui lui cache le visage ? Quête difficile. L'orphelinat, qui ressemble à un centre de redressement, ne veut pas prendre l'enfant. Le chauffeur du taxi, père de trois filles et qui a toujours rêvé d'avoir un garçon, ramène l'enfant chez lui. « Tu m'a apporté une poupée ? », lui lance une des filles. Grâce à une petite bouteille de Coca-Cola, la boisson qui se vend en temps de guerre et en temps de paix, il fabrique un biberon au bébé. Même silencieuse, prise par les travaux ménagers, l'épouse de Khaled s'attache à l'enfant. Grâce à l'aide d'une ONG française, il lance un appel à la radio pour retrouver la mère. Et, bien sûr, des « mères » se bousculent pour revendiquer l'enfant. Mais Khaled a trouvé l'astuce pour découvrir la véritable maman. Il a fait presque mieux que le sage roi Salomon qui, il y a plus de 1000 ans, avait réussi à départager deux femmes qui réclamaient un enfant en menaçant de sacrifier le gamin. Co-écrit avec le romancier Atiq Rahimi et avec le scénariste et parolier Jean-Claude Carrière (il a notamment écrit le scénario du fabuleux Les Fantômes de Goya, de Milos Forman et l'inoubliable Milou en mai de Louis Malle), la fiction réaliste de Barmak Akram, profondément humaine, ne cherche pas à juger ni à donner des leçons. Pas de préjugés. Les choses anormales sont montrées telles qu'elles sont. La société afghane n'a jamais eu le temps de respirer. La nation afghane ne s'est pas encore construite faute d'une paix hors d'atteinte. L'Afghanistan a la malchance de se trouver dans une zone géographique stratégique qui le condamne à la déstabilisation permanente. Au-delà de cela, à Kaboul, comme dans toutes les villes du monde, vivent des humains qui ont des blagues à raconter et qui tentent de résister aux douleurs du temps qui passe. Il n'y a qu'à voir cette scène - inévitablement poétique - du grand-père et de la fille de Khaled lâchant des pigeons dans le ciel azuré de Kaboul. Ce doux sentiment de vouloir voler et de vivre libre ! La fraîcheur de L'Enfant de Kaboul provient probablement du fait que la plupart des acteurs sont des non-professionnels. Ils ont joué comme ils l'ont senti, sans forcer le trait. Musicien à l'origine, Barmak Akram, grand amateur de dadaïsme, cet art anticonformiste, a mis beaucoup de son cœur dans un film qui ressemble à un conte qui n'a pas de fin. Le film est projeté à la salle El Mougar jusqu'au 30 juin courant.