Ahmed Ouyahia, secrétaire général par intérim du Rassemblement national démocratique (RND) et chef de cabinet à la présidence de la République, est connu pour être l'homme rouleau compresseur du régime. Son passage, samedi, sur le plateau de la chaîne de télé privée Dzaïr News appartenant à Ali Haddad, patron du Forum des chefs d'entreprises (FCE), pour un entretien-fleuve, a confirmé une fois de plus que M. Ouyahia n'a pas changé d'un iota dans sa vision de la démocratie, du pluralisme et de l'Algérie de demain. Au fil de l'entretien, le citoyen se voit soumis à un exercice de communication politique où il n'est pas toujours facile de saisir le fond de sa pensée tant il cultive l'art de souffler à la fois le chaud et le froid. Attaquer de front ses adversaires politiques avec son arme préférée : l'argutie qui tient lieu d'argumentaire, les formules inspirées du terroir, le mépris et la raillerie. A force de changer de casquette de chef de parti et de haut responsable de l'Etat présenté comme proche de Bouteflika et du clan présidentiel, et cela tout au long de l'entretien, on ne sait plus à un moment donné qui est qui et quel sens donner à ses réponses. Ouyahia passe ainsi allégrement de représentant officieux à porte-parole officiel ou semi-officiel non assumé mais fortement suggéré par ses commentaires, laissant l'opinion et les acteurs politiques se livrer à toutes sortes de lectures pour en saisir le sens caché. Samedi, il a encore donné la parfaite illustration de l'ambivalence de son discours en révélant, à la lecture des événements et des derniers messages de Bouteflika, précise-t-il, que le projet de révision constitutionnelle sera bientôt rendu public. En l'absence d'un porte-parole de la présidence de la République et du gouvernement comme il en existe dans les démocraties, il apparaît de plus en plus clairement que la communication institutionnelle est confiée aux deux fondés de (du) pouvoir que sont MM. Saadani du FLN et Ouyahia du RND. A la différence de M. Ouyahia – rompu aux techniques du slalom politique, n'assumant ni ses amitiés ni ses alliances passées, s'abstenant prudemment de se positionner sur des sujets délicats en s'abritant confortablement derrière l'argument imparable du respect de l'indépendance de la justice comme dans l'affaire des généraux Hassan et Benhadid – Saadani assume tout, haut et fort, globalement et dans le détail. Pour tout dire, lorsque M. Ouyahia s'exprime – il choisit toujours le moment et le canal –, il n'engage pas un débat, mais provoque plutôt une vive polémique sur la scène politique. Dans cette conjoncture difficile où à la crise politique s'ajoutent les difficultés économiques et financières et l'instabilité à nos frontières, fragilisant encore un peu plus notre pays, il y a un effort urgent et vital de pédagogie politique à entreprendre dans les rapports entre le pouvoir et l'opposition pour instaurer un climat de confiance, prélude à tout dialogue politique. Les styles Ouyahia et Saadani provoquent un effet repoussoir qui ne sert ni leurs propres desseins politiques, ni le pouvoir qu'ils sont censés servir, ni l'opposition qu'ils poussent à la radicalisation, ni la société de manière plus globale. Il serait intéressant de connaître le pourcentage des téléspectateurs qui n'ont pu résister à la tentation d'éteindre leur téléviseur au milieu de l'entretien tant l'exercice devenait difficilement supportable.