Attendue pour les prochaines semaines, la révision constitutionnelle sera le dernier «grand événement» de l'ère Bouteflika. Elle prolongera la réconciliation nationale, l'autre mesure-phare du chef de l'Etat, qui pourrait être constitutionnalisée comme «constante nationale». L'entourage du président de la République veillera à mobiliser ses troupes — Etat, partis politiques, foules — pour applaudir à tout rompre aux mesures constitutionnelles qui seront décidées, même si elles apparaissent comme dérisoires ou trompeuses, à l'image de la Commission de suivi des élections annoncée dernièrement. L'essentiel, aux yeux des alliés et partisans de Bouteflika, c'est moins l'événement que l'auteur : ce sera l'occasion encore une fois de le glorifier, le porter aux nues et clamer qu'ils n'ont pas fait le mauvais choix en le soutenant vaille que vaille tout le long de ces quinze dernières années. Malgré ses ennuis de santé, soutiennent-ils sans sourciller, il a tenu et tient encore le navire Algérie. Et personne ne le manipule ou le tient en otage, comme suggéré par le groupe dit des «15». En champions des zélateurs émergent Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal et Amar Saadani. Rien n'a pu les ébranler : ni la mauvaise gouvernance qui a conduit au classement international de l'Algérie dans la plupart des domaines presque en bas de l'échelle, ni l'incapacité du chef de l'Etat à s'adresser à son peuple et à se déplacer, notamment à l'extérieur, pratiquement depuis une dizaine d'années, ni les scandales politico-judiciaires impliquant ses amis, son entourage. Ni enfin les doutes et les critiques d'amis de longue date du Président, à l'image du «groupe des 15» lequel a défrayé la chronique, semant le trouble au sein du sérail décisionnel. Ce culte de la personnalité, Bouteflika l'a toujours entretenu. Si du temps de sa splendeur, c'était une sorte de coquetterie, aujourd'hui, au crépuscule de sa longue carrière politique — et affaibli physiquement — il devient une nécessité. Le président de la République a besoin de louanges et de lauriers pour exister encore. Lors de ses premiers mandats, en pleine possession de ses moyens, il ne manquait aucune occasion pour haranguer les foules, le but étant de récolter le maximum d'écho. Il a été aidé en cela par un sens consommé du jeu théâtral et une maîtrise totale du verbe, jonglant avec la langue arabe classique, l'arabe dialectal et le français. Ces précieux atouts de communication et donc de pouvoir, un seul les possédait, parmi ses prédécesseurs : Houari Boumediène. Précisément, c'est de ce dernier que Bouteflika tient le plus : culture et sens politique mis au service d'un autoritarisme sans limite et d'une passion illimitée pour le pouvoir. Boumediène en avait fait son dauphin, mais à son décès, le passage du témoin a été contrecarré par les militaires, ce qui a poussé Bouteflika à effectuer une longue traversée du désert. Cependant, elle ne fut pas inutile, il en profitera pour tisser ses réseaux et peaufiner sa stratégie de réoccupation du terrain politique. Son retour, il ne l'imaginait que triomphal et avec des pouvoirs — civils et militaires — illimités et indiscutables. Il ne devait partager avec personne et surtout pas avec les «généraux» qui commandent le pays. Ceux-là, il faudra un jour les punir et ne jamais être à leur botte. Une fois au palais d'El Mouradia, il les enlèvera un à un ; d'abord les «janviéristes», Smaïl Lamari à leur tête, puis quinze ans après les patrons des Services, avec eux le général Toufik qui a pourtant favorisé son accession au pouvoir et son maintien jusqu'au quatrième mandat. Le président de la République n'a pas hésité à évincer, voire mettre en prison des officiers qui ont joué un rôle de premier plan dans la lutte antiterroriste. Mais l'esprit de revanche a fini par l'emporter sur le souci de préservation des équilibres au sein des grandes institutions de l'Etat et de la collectivité nationale. Bouteflika semble aujourd'hui régner en maître absolu sur le pays. Regroupée au sein de la CLTD, l'opposition n'arrive pas à se constituer en grande force alternative du fait d'un ancrage populaire limité et des coups de boutoir de l'administration. Ses revendications d'une élection présidentielle anticipée et d'une transition démocratique sont restées lettres mortes. La révision constitutionnelle lui donnera l'occasion de faire parler d'elle, mais ce sont les législatives de 2017 qui constitueront le test le plus sérieux, en attendant la présidentielle de 2019 si, entre-temps, le président Bouteflika ne vient pas à disparaître ou est forcé de quitter son poste pour raison de santé. Mais là où le pouvoir panique, c'est incontestablement au plan économique. La ruse politique a permis à Bouteflika de durer autant au pouvoir, mais la force de l'argent a eu aussi sa part. Dès son intronisation, par un miracle de l'histoire, des milliards de dollars se sont déversés dans les caisses de l'Etat du fait de prix du pétrole atteignant des records à l'échelle mondiale. La stratégie développée était claire : gagner la paix sociale — et politique — par des transferts sociaux massifs. A l'autel de cette politique a été sacrifié l'investissement productif : l'argent qui devait aller aux investisseurs est parti dans les subventions de toutes sortes et dans des programmes d'équipement à portée sociale. Résultat, il y a eu la paix pour le régime, mais le désastre a été programmé. Avec l'effondrement des prix des hydrocarbures, il n'y a plus d'argent pour poursuivre la politique de transferts sociaux ni de ressources pour construire une machine économique (celle qui fut oubliée). Une fois épuisée (rapidement) sa cagnotte placée à l'extérieur, le pouvoir aura en face de lui une population de plus de 40 millions de personnes à nourrir, loger, soigner, éduquer, faire travailler, etc. L'apocalypse ? Elle n'est pas imaginée ou anticipée. L'urgence est de préserver le monarque.