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«Seule la chute des prix du pétrole peut faire peur au régime»
Rachid Grim. Politologue
Publié dans El Watan le 06 - 12 - 2014

Le politologue Rachid Grim analyse les derniers événements survenus sur la scène politique nationale. Il revient sur l'annonce de la révision de la constitution, l'action de l'opposition, la levée des boucliers suscitée par les rencontres de l'union européenne avec des responsables de la CLTD.
- La présidence de la République vient de relancer, pour la énième fois, le projet de la révision constitutionnelle. Selon le message du président Bouteflika, la future Constitution sera la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations avec les acteurs politiques. Pourquoi le pouvoir a-t-il attendu la fin de l'année 2014 pour annoncer sa volonté de concrétiser ce projet, alors que le chef de l'Etat avait annoncé son adoption durant cette même année ?
La présidence de la République, comme vous le dites, en fait le Président veut rester le maître du jeu politique. Il veut montrer que c'est toujours lui qui décide de ce qui doit se faire d'important et de significatif et aussi du moment où cela devra se faire. Il veut indiquer qu'il est le seul maître du jeu et qu'il compte le rester.
En cette fin d'année 2014, après près de neuf mois d'exercice d'un quatrième mandat sans un événement véritablement significatif de l'action personnelle du président élu, il a jugé qu'il est temps qu'il se remette en selle sur une question essentielle : une des promesses majeures de sa campagne électorale, menée en son nom par les responsables des partis de la majorité présidentielle.
Tout ce qui a été fait au cours de cette période post-élection ne porte pas sa signature personnelle, ou du moins n'est pas perçu comme tel. En dehors de la désignation d'un nouveau gouvernement – avec de vraies surprises à certains postes – et de la mise à l'écart de Belkhadem, rien de ce qui a été fait n'indique que le président élu est effectivement aux mannettes du pouvoir.
Et même sur ces points, l'opinion publique ne distingue pas clairement la signature personnelle du chef de l'Etat ; beaucoup y voit celle de Saïd et/ou de l'entourage immédiat du président élu. Le projet de révision constitutionnelle est l'occasion pour Abdelaziz Bouteflika de se repositionner comme le maître du jeu ; celui qui va imposer un nouveau calendrier politique qu'il va opposer à ses détracteurs et ses adversaires qui veulent son éviction par le jeu de l'article 88 de la Constitution ou purement et simplement sa démission (sans compter ceux qui lui demandent d'organiser lui-même et immédiatement sa succession par l'intermédiaire d'une transition sauvegardant l'essentiel du système en place).
Jusqu'à maintenant, personne – y compris Ouyahia qui a mené les consultations pour une réforme consensuelle de la Constitution – ne sait vraiment ce que le projet, qui sera soumis à l'APN et au Conseil de la nation réunis en congrès (avec ou sans référendum confirmatif), comprendra. Elle ne sera certainement pas «la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations». Bouteflika se laisse toute latitude pour décider de ce que sera la prochaine Constitution du pays.
En dehors du retour à la limitation des mandats présidentiels qui semble acté – quelle que soit sa forme (deux quinquennats, un ou deux septennats), tout est encore ouvert et ne dépend que de la volonté du Président. Lui seul décidera si la nouvelle Loi fondamentale instaurera ou non le poste de vice-président, successeur désigné au poste de chef de l'Etat, quelles que soient les conditions de la succession. Seul lui décidera s'il faudra recréer le poste de chef du gouvernement et lui donner des pouvoirs étendus pour gouverner en son nom.
Seul lui décidera – ou non – d'étendre les pouvoirs de l'APN et de rendre le gouvernement responsable devant elle. De même qu'il décidera seul de la mesure symbolique, mais éminemment politique, de l'officialisation de la langue amazighe. Il pourrait aussi – c'est attendu par certains partis politiques de l'opposition démocratique et par une frange importante de la société civile – décider de désigner l'armée comme gardienne du caractère républicain et démocratique du régime politique algérien.
En fait, ce qui changera dans la présente Constitution proviendra de la seule volonté de Bouteflika. On voit donc que les enjeux sont vraiment importants pour un Président considéré par l'opposition et une partie importante des citoyens comme impotent et en incapacité de gouverner et de décider.
- Les partis d'opposition, notamment ceux qui font partie de la CLTD et de l'ISCO, estiment que cette annonce est synonyme de panique qui a gagné le régime après leur appel à une présidentielle anticipée. Cette lecture est-elle plausible ?
Les partis d'opposition – composant la CLTD et l'ISCO – sont dans leur rôle en affirmant cela. Mais aucun de leurs membres ne croit sérieusement que le pouvoir est en situation de panique. Et s'il l'est, ce n'est certainement pas pour cette raison. L'appel à une présidentielle anticipée ne fait pas peur à Bouteflika et à son camp. Tout comme l'opposition a lutté longtemps, et sans aucun effet, pour l'application de l'article 88 de la Constitution, son appel à une présidentielle anticipée n'a et n'aura aucun effet.
Ce n'est donc pas cela qui peut paniquer le pouvoir. La seule chose qui peut le faire, c'est la perspective – réelle – de la persistance sur un temps assez long pour dégrader suffisamment la situation financière du pays, de la chute du prix du pétrole brut. Il n'y a que cette perspective qui fera perdre au pouvoir sa capacité à maîtriser la fronde sociale et les émeutes populaires que la perte du matelas de pétrodollars entrainera automatiquement. Le pouvoir sait que rien ne pourra arrêter un peuple qui a faim ou, tout simplement, qui a peur d'avoir faim.
- L'initiative de la délégation de l'Union européenne qui a rencontré, il y a quelques jours, des partis politiques algériens a suscité une levée de boucliers au sein du pouvoir qui, par le biais des partis qui lui sont proches, crie au scandale. Comment expliquer cette réaction ?
La délégation de l'Union européenne n'a pu venir en Algérie et entreprendre sa mission (son enquête ?) qu'avec l'autorisation du gouvernement algérien. Son programme devait nécessairement être connu des autorités ; donc validé, au moins dans ses grandes lignes.
Donc, les cris d'orfraie des partis proches du régime ne sont que du cinéma. Ils ne servent à rien d'autre qu'à intimider les partis d'opposition qui ont reçu la délégation afin qu'ils n'aillent pas trop loin dans leur critique du régime politique algérien.
Ce qui est complètement inutile, tant ces partis n'ont pas attendu la venue de la délégation européenne pour dénoncer l'absence de démocratie réelle, la détérioration des droits de l'homme, de la liberté de la presse, de la liberté de conscience, de celle de manifester pacifiquement, de pratiquer librement son culte, etc.
Les cris d'orfraie des partis du régime ou alliés à lui pouvaient avoir aussi pour objectif de faire pression sur les membres de la délégation européenne pour qu'ils limitent leurs investigations et ne cherchent pas à aller plus en profondeur pour ne pas «dénuder le roi». Tout cela en vain. Parce que ce qui intéressait fondamentalement la délégation c'est de voir sur le terrain la vérité de l'Algérie de 2014 : sa situation politique liée à la santé du Président et à l'incertitude qu'elle fait peser sur l'avenir. Quid de la succession ? Dans quelles conditions se fera-t-elle ? A quel horizon ? Qui en bénéficiera ?
Quel résultat sur la stabilité politique et sociale du pays ? Ce qui intéressait aussi la délégation, c'est de constater de visu ce qui est fait pour préserver le plus rapidement possible le pays de sa dépendance mortelle au pétrole, maintenant que son prix est durablement faible. Et il ne semble pas, dans les deux cas, que la délégation européenne soit repartie avec des réponses à même de les tranquilliser : l'avenir du pays, tel qu'il ressort des observations et des analyses objectives, est peint en gris, pour ne pas dire en noir très sombre.
- «La main étrangère» est toujours mise en avant par les responsables du régime pour repousser toute menace contre le système. Pourquoi cet argument fait-il toujours les affaires du régime en place ?
«La main étrangère» a toujours été un argument pour le pouvoir et les partis qui le soutiennent. C'est un argument facile à destination d'une population formatée depuis des lustres pour reporter sur l'étranger toutes les tares du système : en 2014, nous en sommes encore à accuser la colonisation et la France de tout ce qui ne va pas.
Et quand ce n'est pas la colonisation, c'est l'impérialisme américain ou le sionisme international. C'est toujours la faute aux autres. Et la visite de la délégation européenne a été une occasion de plus pour hurler à l'interventionnisme et aux pressions extérieures pour obliger l'Algérie à obéir aux diktats des puissances occidentales et la faire revenir sur ses positions patriotiques et nationalistes. «La main étrangère» a encore de beaux jours devant elle. Même si elle ne fait plus vraiment recette auprès de citoyens conscients des tares innées du régime.
- La CLTD et l'ISCO sont aujourd'hui diabolisés. Ils ont subi des tirs groupés de la part des partis proches du pouvoir. Ces derniers sont, en revanche, en train de courtiser le FFS, toute en conditionnant leur participation à son initiative par « le respect de la légitimité ». Comment expliquer cette situation ?
La CLTD et l'ISCO sont actuellement la seule opposition, vraiment crédible, au régime. Malgré ses faiblesses – et elle en a encore beaucoup –, elle a réussi à réunir en son sein des partis et personnalités qui ont accepté de parler d'une seule voix et d'agir ensemble. Elle n'est pas encore totalement mature – et peut encore céder aux nombreuses sirènes de la division – mais le pouvoir sait que s'il lui laisse assez de temps, elle deviendra une force incontournable, assez puissante pour constituer une sérieuse menace pour lui.
Il lui faut donc l'abattre – ou du moins l'affaiblir fortement – pour faire disparaître cette menace. Si le pouvoir courtise le FFS, c'est que ce dernier conserve encore un peu de sa force militante et électorale, même s'il a perdu une grande partie de sa crédibilité depuis sa participation aux élections législatives de 2012. Objectivement, depuis sa participation (qu'on dit négociée avec le pouvoir) aux dernières législatives, le FFS est devenu un allié – non déclaré – du président Bouteflika.
Tout ce qu'il entreprend depuis cette date peut être analysé à travers le prisme de la collaboration avec le régime. Ajoutons qu'avec son initiative pour une transition consensuelle et son rejet d'une collaboration franche avec la CLTD et son Instance de suivi et de coordination de l'opposition, cette alliance objective devient de plus en plus visible. D'où le chapelet de fleurs lancé à son égard par Saadani et ses amis politiques.
- L'opposition a-t-elle les moyens d'imposer le changement ?
Elle les aura avec le temps, si les forces de désagrégation qui l'encerclent ne l'emportent pas. Des forces qui peuvent être internes comme la lutte sournoise pour le leadership du mouvement. Cette dernière n'est pas encore visible, mais gageons qu'elle le sera inévitablement à l'approche des prochaines joutes électorales pour la présidence.
Des forces externes en provenance du pouvoir et des parties qui le soutiennent qui chercheront par tous les moyens à l'abattre : le pouvoir a toujours fait la démonstration de ses capacités diaboliques pour détruire – quitte à les acheter – les vraies forces d'opposition. La CLTD et l'ISCO auront donc fort à faire pour construire, consolider et maintenir l'unité de l'opposition démocratique. C'est le chemin que ses leaders actuels semblent avoir pris. Espérons que, pour une fois, les intérêts égoïstes des uns et des autres ne l'emporteront pas sur l'intérêt général.
- Le FLN connaît, lui aussi, une nouvelle guéguerre qui oppose cette fois Amar Saadani à l'un des hommes qui l'a aidé à accéder au poste de secrétaire général du Parti, Tayeb Louh en l'occurrence. Qu'est-ce qui justifie cette guerre entre les hommes d'un même clan ?
Le FLN est en crise depuis longtemps déjà. Mais il reste (avec son avatar, le RND) le parti du pouvoir. Avec ses structures sur l'ensemble du territoire national, il reste une machine absolument nécessaire et indispensable pour gagner les élections. Quelles qu'elles soient.
Dans la bataille actuelle, il semble que Saadani soit en fin de mission et qu'il est en train d'être poussé vers la porte de sortie.
Les deux missions essentielles que le clan Bouteflika lui a confiées ont été accomplies : affaiblir l'ancien secrétaire général du FLN (Belkhadem) qui montrait trop de velléités à devenir Président et le remplacer. Une fois chassé du poste de SG du FLN, il devait laisser à Bouteflika le soin de l'achever en le chassant du gouvernement et même du parti. Sa deuxième mission était de jouer les picadors afin d'affaiblir le taureau DRS et son chef Toufik et donner l'occasion au toréro Bouteflika de l'abattre en le disloquant. Mission réussie !
Aujourd'hui, il n'est plus qu'un boulet pour le Président et son clan. Son sort semble avoir été scellé et son remplaçant désigné : Tayeb Louh. Sa mission à lui c'est de mettre le FLN, frondeurs inclus, en ordre de marche pour la prochaine élection présidentielle et la succession de Bouteflika. Concernant le FLN, l'histoire ne fait que se répéter.


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