Né à Sour El Ghozlane en 1933, le grand poète Messaour Boulanouar est décédé le lundi 16 novembre 2015. Il appartenait à cette génération de «feu», celle d'Ismaïl Abdoun, Djamel Amrani et Rachid Boudjedra, pour ne citer que les plus connus, celle qui a pris l'étendard des poètes Kateb Yacine et Mohamed Dib, celle qui a ouvert le chemin aux Tahar Djaout, Youcef Sebti, Abdelhamid Laghouati, Hamid Tibouchi, Djamel Kharchi et d'autres. Messaour Boulanouar cultivait la modestie et considérait que la générosité est le summum des qualités humaines. On l'appelait «El- kheir» ! Sa grande simplicité, cet abandon tantôt au romantisme, tantôt à l'inspiration populaire tient aux mêmes ambitions de la littérature. Créer une langue, c'est avant tout créer le véritable lecteur, ne plus écrire pour une classe précise, étrangère aux véritables destinées du langage : c'est aussi bien entrer dans le véritable domaine de la poésie, créer une syntaxe, donner corps à un vocabulaire, orchestrer des rythmes ; c'est inscrire la littérature au niveau même de sa contestation. On ne peut juger ni le créateur du langage ni le poète (mais ils sont unis l'un et l'autre en un seul homme) d'un point de vue qui serait uniquement philologique : en réalité, l'objet de cette alchimie fabuleuse est cosmique - le ciel, le soleil, la lune, les eaux, les pierres, la terre, la végétation sont véritablement créés à ce moment, commence dans le domaine des hommes une extraordinaire aventure. Le «paysan» que jette Messaour Boulanouar en marge de sa phrase enjambe étoiles et comètes, parcourt les étendues désertes, régit un espace et un temps qui ne sont plus l'espace et le temps de la vie quotidienne, mais espace et temps où l'homme respire au rythme des saisons. Une mythologie jusqu'alors inconnue s'organise soudainement en poème, devient œuvre d'écriture, offre aux hommes la fascination des sables, de l'olivier et du palmier. Analyser l'œuvre de Messaour Boulanouar, c'est découvrir le mouvement même des lettres et de la littérature. On ne voit rien, ici, qui soit conception de l'univers ou métaphysique tentée ; au contraire, le langage longe les choses, se déplace à l'épiderme du monde visible, se saisit du conte populaire, anime le rite immémorial puis, soudain, la lecture terminée, se replie sur une profondeur singulièrement approchée, saisie, dévoilée. Messaour Boulanouar était le fils de son temps au vrai sens du mot. Il marchait de pair avec son pays, l'Algérie. Militant de la cause nationale, maquisard pendant la guerre de Libération nationale, poète révolutionnaire, il introduisit ici et là, toujours et en tout, cette marge qui donne l'occasion à son génie de paraître. C'est là, sans doute, la plus grande et la plus humaine des leçons qu'il nous donne. La poésie est avant tout un «acte» et un «don». Selon Messaour Boulanouar, il n'est de poésie qu'engagée, c'est-à-dire intéressée aux rapports que l'homme entretient avec l'univers, ou aux rapports que l'homme entretient avec les autres hommes. La valeur d'une œuvre tient à la générosité qui préside à son écriture. Et cette forme généreuse qui épouse la vie de Messaour Boulanouar, cette habitude qu'il a de tout recevoir et de tout donner, cette façon qui est la sienne de ne rien refuser, tout cela fonde, en premier lieu, la valeur de son œuvre. . Les œuvres complètes (poèmes) de Messaour Boulanouar ont été éditées par le ministère de la Culture. Elles sont disponibles à la Bibliothèque nationale (Hamma-Alger) et dans certaines maisons de la Culture.